Strip vertical signé F'murrr.
+ Nous avons appris cette semaine la disparition de Richard Peyzaret, alias F'murrr, âgé de 72 ans. Ce bédéaste s'était fait connaître avec sa série "Le Génie des Alpages", chef-d'oeuvre d'humour loufoque mettant en scène un berger et son troupeau.
- Fabriquer un nom complètement débile, ressemblant à une onomatopée et l'imposer au public, ça me plaisait.
Craignant que son humour ne déroute les lecteurs de "Pilote" où le "Génie" débuta sa carrière, Goscinny avait tendance à censurer F'murr, qui put s'épanouir après le départ de celui-ci.
F'murr était sans doute l'un des auteurs qui avait le plus de recul sur son métier, dont il avait pressenti le déclin (occulté par le succès commercial) ; en mars 1978, il déclarait au fanzine "Schtroumpf" (n°17*) : - Les dessinateurs de bandes dessinées sont dans une position très équivoque : d'un côté nous sommes considérés comme des artistes, de l'autre comme des employés et finalement, nous n'avons que les désavantages des uns et des autres (...).
- Attention, ajoute F'murr, de ne pas faire de la BD un produit de consommation.
Dans cette vieille interview par Jean Léturgie, F'murr fait exactement le contraire des intellectuels payés pour déblatérer sur la BD puisqu'il évoque dans un style direct un sujet qu'il maîtrise.
(*: nous tenons à la disposition de qui en fera la demande à zebralefanzine@gmail.com l'entretien du perspicace F'murr avec J. Léturgie publié dans "Schtroumpf")
+ A propos d'humour absurde, je note la référence de Mandryka à Alphonse
Ainsi Alphonse Allais ne cultive pas l'absurdité ; cet auteur anarchiste s'emploie à souligne sur le mode comique que l'Etat moderne républicain et ses principales institutions -armée, police, université-, sont absurdes. Allais est, par conséquent, un auteur sérieux dans la lignée de Rabelais ou Cervantès. Très différents sont des auteurs tels qu'Apollinaire, Ionesco, voire Beckett, qui cultivent l'absurdité comme un motif poétique, non dans un but subversif.
De façon pertinente, A. Allais rapproche l'absurdité caractéristique de l'Etat moderne de la religion, ce qui fait d'A. Allais un précurseur de Guy Debord et sa "société du spectacle" puisque la culture moderne repose de plus en plus sur des spectacles absurdes (la compétition sportive moderne est un exemple parmi d'autres), et qu'elle est de plus en plus religieuse ; la science elle-même devient un spectacle absurde.
Caricature de Magali Le Dissez où elle défie le maire de sa commune.
+ F. Forcadell attire l'attention sur son blog sur un cas récent de censure d'une caricaturiste dans la presse régionale ("Le Berry républicain"). Ce n'est pas un cas isolé, et il cache sans doute pas mal d'autocensure de la part de dessinateurs moins naïfs que Magali Le Dissez.
Il a même pu arriver qu'un parti politique achète un caricaturiste lors d'une campagne électorale locale afin de s'assurer du soutien de ses dessins.
A l'échelle nationale, les plaintes sont plus rares. E. Macron au cours de sa campagne répondit à la question d'un journaliste : "Les caricatures font partie du jeu." Cela ne l'a pas empêché d'accuser ultérieurement un dessinateur au service de François Fillon d'antisémitisme ; il est vrai que ce dessinateur était le porte-parole d'un parti politique, et non un dessinateur satirique (l'accusation d'antisémitisme à tout bout de champ risque surtout de porter tort aux Juifs en définitive).
Le rôle actuel du "Canard enchaîné" dans la vie politique française, dont il est un rouage, illustre parfaitement dans quelles limites la satire politique est enfermée. Le "Canard" ne fait pas que mettre les politiciens sur la sellette ; il rend aussi le service d'animer une vie politique cadenassée par la Constitution, qui sans cela serait bien terne.
+ Comme c'est le cinquantième anniversaire de "Mai 68", il n'est pas inutile de mentionner deux remarques de Karl Marx, qui observa et/ou étudia de près des révolutions importantes.
La première est que la République française est sans doute le mieux protégé de tous les régimes contre une révolution. La raison invoquée par Marx est une cause persistante, à savoir la pléthore de fonctionnaires entretenus par l'Etat, qui tacitement en répandent et entretiennent le culte "laïc".
L'invocation des "philosophes des Lumières" (pas ou peu révolutionnaires) fait oublier que les institutions actuelles de la France remontent au XIXe, siècle d'autoritarisme et de censure bien plus que de liberté d'expression. Les élites politiques françaises ont tiré les leçons de la Révolution de 1789, devenue "légende dorée".
- Deuxième remarque de Marx, qui est une prophétie accomplie, celle que la "gauche" trahira l'idéal socialiste et la confiance du peuple plus efficacement que la "droite" (Marx sous-entend que la droite est trop bête pour accomplir cette opération de mystification).
A propos de "Mai 68", on peut constater que la propagande de gauche a interprété ce mouvement insurrectionnel comme une victoire politique et morale, tandis que ses acteurs les plus sincères (Cavanna et ses caricaturistes) l'ont vécu a contrario comme une défaite.