Jeudi 19 avril
14h : Après quelques difficultés évoquées dans un récent article, j’arrive à la chambre des métiers et de l’artisanat du Finistère pour assister à la présentation d’un projet de boutique qui devrait ouvrir aux Capucins en 2018 : il s’agira d’une sorte de « concept store », mais en beaucoup plus malin, appelé « Le cosmonaute » et faisant la part belle aux travaux des créateurs locaux. Je suis donc venu à la rencontre des initiatrices du projet avec l’intention de leur vendre mes modestes talents : je sais, c’est un peu contradictoire après avoir exprimé mes craintes concernant la marchandisation annoncée de l’espace aux Capucins, mais quand on veut avoir une chance de vivre de son travail d’artiste, il faut aussi être un peu opportuniste ; c’est toujours plus constructif que passer sa vie à geindre sur ses difficultés matérielles, pas vrai ?
20h30 : Après avoir rencontré François Morel à la librairie Dialogues, je viens l’écouter au Quartz : la soirée était un peu spéciale puisque la salle fêtait ses 30 ans d’existence. On a ainsi eu droit en préambule à un discours de notre maire et du directeur du Quartz : quand ils sont arrivés sur scène, je n’ai pas pu m’empêcher de dire à ma voisine « le moment est venu de faire la sieste » ! J’ai eu tort : le maire de Brest est certainement l’un des politiciens les moins pontifiants de la région, ses discours sont empreints d’une gouaille qui les rend presque plaisants. Bien sûr, ça n’avait aucune commune mesure avec le spectacle de monsieur Morel : j’aurais du mal à vous en faire le compte-rendu, tant « Le vie (titre provisoire) » est riche en humour et en émotion – ce n’est pas incompatible, croyez-moi. François Morel n’est pas porteur d’un message, mais il nous rappelle qu’avant de rire de tout, il faut d’abord rire de soi : imaginez qu’on vous donne un coup de poing sur une joue tout en vous caressant l’autre et vous aurez une idée de l’effet de son humour sur le public qui applaudissait à tout rompre ! Ses tentatives d’imitations avortées par Antoine Sahler sont certainement l’expression de la crainte de la facilité qui habite tout homme de spectacle : mais monsieur Morel n’a pas à s’inquiéter outre mesure, il reste un artiste exigeant et généreux qui n’est pas près de donner son spectacle comme une vieille pute donne son corps !
22h30 : C’est rare qu’une salle de spectacle importante vous offre un coup à boire et du gâteau après une représentation : c’est pourtant ce qu’a fait le Quartz ce soir-là, anniversaire oblige. L’occasion pour les spectateurs « de base » comme moi de croiser certains représentants du gratin local : ainsi, je rencontre une de mes admiratrices déclarées qui me déclare avoir été employée de mairie à l’époque de Pierre Maille et me présente à cet ancien maire et ancien président du conseil général (on ne disait pas encore départemental de son temps) qui était lui aussi dans l’assistance… Elle se croit obligée de lui préciser que j’habite Guilers : j’ajoute aussitôt que je n’ai jamais voté Pierre Ogor ! Vous trouvez cette précision inutile ? Pas tant que ça : je ne tenais pas à passer, aux yeux de cet homme politique que j’estime (assez rare pour être souligné), pour un beauf votant pour un ivrogne ! C’est humain, non ?
Vendredi 20 avril
12h : J’ai des répliques très connes, parfois. Ainsi, à une dame que j’estime pourtant, et qui me dit qu’il ne faut pas mépriser le corps étant donné que c’est grâce à lui que nous sommes en contact avec la beauté de la vie, je ne peux m’empêcher de répondre : « Où avez-vous que la vie était belle ? » Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça : c’est peut-être par détestation des lieux communs et des phrases toutes faites, « la vie est belle » en faisant partie. N’empêche que ça m’a valu de me ronger les sangs pendant huit bonnes heures, moitié parce que je m’en voulais d’avoir dit quelque chose de déprimant à une femme, moitié parce que j’avais réussi à me déprimer moi-même… Oui, la vie peut être belle à condition de ne pas être moi !
18h : Il y avait longtemps que je ne m’étais pas rendu au Boucan pour y faire des caricatures : des circonstances m’avaient un peu éloigné de ce bar dont je me suis finalement rapproché à la faveur d’un changement de propriétaire. L’accueil est en tout cas irréprochable : les tenanciers ont l’air presque contents de me voir débarquer, me laissent installer mon « stand » à ma guise et m’offrent le repas ; si je pouvais être aussi bien accueilli partout où je viens me produire, là, oui, la vie serait est belle ! D’autre part, j’inaugure mon nouveau tarif : avant, je demandais 2 ou 3 euros selon la situation du client ; maintenant, c’est 5 euros pour tout le monde et puis c’est marre ! Oui, car j’ai reçu, en d’autres endroits, un accueil beaucoup moins chaleureux qui m’a donné l’impression d’être considéré comme un clochard auquel on faisait l’aumône et j’ose croire qu’afficher un prix plus élevé et, surtout, plus rond, peut m’aider à me faire davantage respecter. En tout cas, 5 euros n’a pas l’air d’être un prix rebutant pour les Brestois qui, en tout cas, ne le trouvent pas excessif : et puis après tout, tout travail mérite salaire ! Je ne me prends pas pour Franquin, mais je ne me prends pas pour de la merde non plus : ce que je fais, tout le monde n’est pas capable de le faire, nom de Dieu de… Hum ! Il est temps que je m’arrête…