Magazine Nouvelles

Fernando Pessoa | [Ce soir l’orage a roulé]

Publié le 23 avril 2018 par Angèle Paoli
« Poésie d’un jour

[CE SOIR L’ORAGE A ROULÉ]

Ce soir l’orage a roulé,
Tombant sur des versants du ciel
Comme un énorme bloc de pierre…

Comme si quelqu’un du haut d’une fenêtre
Secouait une nappe,
Et que les miettes tombant toutes ensemble,
Faisaient un certain bruit dans leur chute ;
La pluie crépitait par terre
Obscurcissant les chemins…

Tandis que les éclairs ébranlaient l’espace
Et secouaient l’air
Comme une grande tête qui dirait non,
Je ne sais pas pourquoi — je n’avais pas peur —
Je me suis mis à prier sainte Barbe
Comme si j’étais la vieille tante de quelqu’un…

Mais c’est qu’à prier sainte Barbe
Je me suis senti encore plus simple
Que je ne pensais l’être…
Je me sentais familial et casanier
Ayant passé ma vie
À écouter tranquillement ma bouilloire ;
Au côté de parents plus âgés que moi
Comme si c’était pour moi une façon de fleurir…

Je me sentais quelqu’un qui pouvait croire en sainte Barbe…
Ah, pouvoir croire en sainte Barbe !

(Qui croit en sainte Barbe,
Pensera que c’est quelqu’un de visible
Sinon que peut-il penser d’elle ?)

(Quel artifice ! Que savent
Les fleurs, les arbres et les troupeaux
De sainte Barbe ?... Une branche d’arbre,
Si elle pensait, ne pourrait jamais
Construire ni des saints ni des anges…
Elle pourrait penser que le Soleil
Éclaire et que le tonnerre
Est un vacarme soudain
Qui naît avec la lumière.
Ah, comme les hommes les plus simples
Paraissent malades, confus et stupides
Face à la lumineuse simplicité
Et à la force d’exister
Des arbres et des plantes !)

Et moi, pensant à tout cela,
Je me retrouvais moins heureux une fois de plus…
Sombre, mélancolique et malade
Comme un jour où l’orage a menacé
Sans jamais venir, même la nuit tombée…

mars 1914

Fernando Pessoa, Le Gardeur de troupeaux, IV, poème d’Alberto Caeiro, avec des variantes inédites, Éditions Unes, 2018, s.f. Nouvelle traduction du portugais par Jean-Louis Giovannoni, Rémy Hourcade et Fabienne Vallin.
Fernando Pessoa  Le Gardeur de troupeaux


FERNANDO PESSOA

Vignette Pessoa

Vignette de Almada Negreiros
(D.R. éditions Unes)


■ Fernando Pessoa
sur Terres de femmes

[Hommes de barre !] (extrait d’Ode maritime)
→ Sous un ciel bas et sombre
→ Ulysse
→ 13 juin 1888 | Naissance de Fernando Pessoa
→ 13 juin 1930
→ 14 septembre 1931
→ 29 janvier 1932
→ 11 juin 1932
→ 26 mars 1934 | Fernando Pessoa, Les Îles Fortunées

■ Voir aussi ▼

→ (sur le site des éditions Unes) la fiche de l’éditeur sur la nouvelle traduction du Gardeur de troupeaux de Fernando Pessoa



Retour au répertoire du numéro d’ avril 2018
Retour à l’ index des auteurs

» Retour Incipit de Terres de femmes

Retour à La Une de Logo Paperblog