On retrouve donc le loser magnifique Donald Leblond, anti-héros à la fois noble et grotesque, désormais converti à une cause crypto-religieuse à peine plus abracadabrante que toutes celles pour lesquelles ses frères humains s’entretuent depuis des millénaires : le lagartisme, une hérésie chrétienne selon laquelle les entrailles de la Terre seraient peuplées par des « dinosauroïdes » dotés d’une intelligence supérieure, les Troodons, qui, non contents d’avoir survécu à l’extinction massive des grands reptiles, tireraient secrètement les ficelles des maux de l’humanité afin d’en précipiter la perte et ainsi pouvoir peupler à leur guise la planète ! Donald est-il un déséquilibré doublé d’un mythomane comme finit par le penser son « fidèle » Deshi, un égoïste se cherchant des prétextes pour abandonner sans remords ses conquêtes féminines comme le pensent ces dernières, ou bien un authentique héros des temps modernes comme il en est lui-même persuadé ? Une chose est sûre : ce n’est pas un simple fou.
Il serait cependant injuste de réduire Prends ma main Donald à une simple dénonciation des théories du complot : si les préoccupations sociologiques de l’auteur y sont incontournables, il n’en s’agit pas moins, avant tout, d’un roman bien structuré, dû à un auteur en pleine maturité qui maîtrise parfaitement sa technique narrative, et racontant avec rythme (on ne s’ennuie pas une seconde) et malice (il est difficile de ne pas rire) les tribulations d’un individu hors du commun dans un monde qui perd la boussole. Donald Leblond a (croit-on) tous les défauts de la terre, mais pourquoi lui jeter la pierre ? A quoi bon chercher à mener une vie « rangée » quand le monde est lui-même complètement dérangé ? L’évocation des attentats du 13 novembre 2015 nous invite à relativiser ce que la conduite de Donald peut avoir d’extravagant…
Julien Péluchon, Prends ma main Donald, Fiction & Cie, Seuil, 19 €