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de 1759, les '' Mémoires sur l'ancienne chevalerie '' Par amour pour sa Dame...

Publié le 12 mai 2018 par Perceval
de 1759, les '' Mémoires sur l'ancienne chevalerie '' Par amour pour sa Dame...

Voilà comment, Jean-Baptiste de La Curne de Sainte-Palaye (1697-1781), informe ses lecteurs « sur la foi de nos anciens auteurs, les avantages de la Chevalerie militaire, de laquelle il ne reste plus que des vestiges dans les divers ordres de la Chevalerie régulière ou religieuse... »

Je rappelle que les textes suivants sont extraits de : '' Les Mémoires sur l'Ancienne Chevalerie'' publiées en 1759...

Se battre pour l'amour de sa Dame :

Combien de fois ne vit-on pas à la guerre des chevaliers prendre les noms de poursuivants d'amour, et d'autres titres pareils, se parer du portrait, de la devise et de la livrée de leurs maîtresses , aller sérieusement dans les sièges , dans les escarmouches et dans les batailles offrir le combat ( note 24) à l'ennemi , pour lui disputer l'avantage d'avoir une dame plus belle et plus vertueuse que la sienne , et de l'aimer avec plus de passion.

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(24) Le sire de Languerant , en 1378, ayant mis en embuscade dans un bois quarante lances qu'il commandait, leur ordonna de l'attendre jusqu'à ce qu'il fût revenu de reconnoître la forteresse de Cardillac occupée par les Anglois. Il s'avança tout seul jusqu'aux barrières , et s'adressant à la garde : « Où est Bernard Courant vostre capitaine? demanda-t-il. Dites luy que le sire Languerant luy demande une jouste; il est bien si bon homme d'armes et si vaillant qu'il ne la refusera pas pour l'amour de sa dame ; et s'il la refuse ce luy tournera à grand blâme, et diray qu'il m'aura refusé par couardise une jouste de fer de lance. » Elle ne fut point refusée , et Languerant y perdit la vie. ( Froissart, liv. II , p. 43 et 44- )

Prouver la supériorité de sa valeur , c'étoit alors prouver l'excellence et la beauté de la dame qu'on servoit , et de qui l'on étoit aimé : on supposoit que la plus belle de toutes les dames ne pouvoit aimer que le plus brave de tous les chevaliers ; et le parti du vainqueur trouvoit toujours son avantage dans cette heureuse supposition.

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Mais le pourroit-on croire , si l'on n'étoit appuyé sur le témoignage des historiens comme sur les romanciers, pourroit-on se persuader que des assiégeants et des assiégés, au fort de l'action, aient suspendu leurs hostilités pour laisser un champ libre à des écuyers qui vouloient immortaliser la beauté de leurs dames, en combattant pour elles ? C'est néanmoins ce qu'on vit arriver au siège du château de Touri en Beauce , suivant Froissart. S'imaginera-t-on aisément encore que dans le feu d'une guerre très-vive des escadrons de chevaliers et d'écuyers françois et anglois, qui s'étoient rencontrés près de Cherbourg en 1379 , ayant mis pied à terre pour combattre avec plus d'acharnement , arrêtèrent les transports de leur fureur pour donner à l'un d'entre eux, qui seul étoit resté à cheval, le loisir de défier celui des ennemis qui seroit le plus amoureux? Un pareil défi ne manquoit jamais d'être accepté. Les escadrons demeurèrent spectateurs immobiles des coups que se portaient les deux amants ; et l'on n'en vint aux mains qu'après avoir vu l'un d'eux payer de sa vie le titre de serviteur qu'il avoit peut-être obtenu de sa dame.

Les héros grecs sont-ils donc plus sages dans Homère, lorsqu'au milieu de la mêlée ils s'arrêtent tout-à-coup pour se raconter leur généalogie ou celle de leurs chevaux ? Ce combat singulier fut suivi d'une action des plus sanglantes ; et Froissart , pour donner plus de poids à son récit , ajoute : « Ainsi alla ceste besongne comme je fu à donc informé. »

L'esprit de galanterie , l’âme de ces combats, dont l'histoire nous fournit des exemples sans nombre , ne s'étoit point encore perdu dans les guerres d'Henri IV et de Louis XIV ; on y faisoit quelquefois le coup de pistolet pour l'amour et pour l'honneur de sa dame : au siège d'une place on vit un officier blessé à mort , écrire sur un gabion le nom de sa maîtresse en rendant le dernier soupir.

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(…)

Brantôme nous apprend que de son temps plus que jamais , l'amour avoit encore ses héros : « Les gens de cour se sont fait remarquer très-braves et vaillants et certes plus que le temps passé. »

Puis reprenant ce qu'il avoit dit plus haut de M. de Randan : « Estant à Metz , continue-t-il , un cavalier de dom Louys d'Avila, colonel de la cavalerie de l'empereur, » se présenta et demanda à tirer un coup de lance pour l'amour de sa dame. Monsieur de Randan le prit aussistost au mot par le congé de son général , et s'estant - a mis sur les rangs, fust ou pour l'amour de sa maistresse qu'il espousa depuis , ou pour l'amour de quelqu'autre bien grande , car il n'en estoit point dépourvue , jousta si furieusement et dextrement qu'il en porta son ennemi par terre à demy mort, et retourna tout victorieux et glorieux dans la ville, ayant fait et apporté beaucoup d'honneur à luy et à sa patrie , et dont chacun le loua et en estima extrêmement et non sans cause. »

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(…) un usage dont nos romanciers ont souvent fait mention, et qui convient tout-à-fait à des temps où le chef-lieu de chaque domaine étoit un poste , et presque une place de guerre, exposée aux insultes , aux attaques de voisins toujours ennemis et toujours armés. Une demoiselle riche héritière , suivant le récit de ces romanciers, une dame restée veuve avec de grandes terres à gouverner, avoit-elle besoin d'un secours extraordinaire, elle appeloit quelque chevalier d'une capacité reconnue , elle lui confioit , avec le titre de vicomte ou de châtelain, la garde de son château et de ses fiefs, le commandement des gens de guerre entretenus pour leur defense ; quelquefois même , dans la suite , elle acquittoit par le don de sa main ( note 47) les services importants qu'elle avoit reçus de lui. Ordinairement de telles alliances furent contractées par les avis et sous l'autorité des souverains. Protecteurs nés des pupilles et des veuves nobles de leurs États, les princes ,en conciliant les intérêts des deux parties , remplissoient les généreuses fonctions de la garde royale, et récompensoient en même temps la valeur des plus braves chevaliers de la cour. Ce fut vraisemblablement ainsi qu'un nombre assez considérable de nos plus grands seigneurs acquirent les terres immenses qu'ils ont possédées. Il seroit difficile de donner une origine plus glorieuse, soit à la puissance de leurs maisons, soit à l'étendue de leurs domaines.

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(47) Je n'ai que des romans et des ouvrages aussi fabuleux à citer pour preuve de cet usage ; mais on peut croire aisément que cette idée romanesque fut adoptée par des seigneurs et des chevaliers qui auroient voulu s'assurer de l'adresse et de la valeur des époux qu'ils destinoient à leurs filles pour défendre les fiefs dont elles étoient héritières.

« Le puissant roy Odescalque , qui avoit une fille nommée Doralisce (Nuits de Straparole, t. I, p. 236), en la voulant marier honorablement, avoit fait publier un tournoy par tout royaume , ayant delibéré de ne la marier point , sinon à celui qui auront la victoire et le prix du tournoy, au moyen de quoi plusieurs, ducs , marquis et autres puissants seigneurs étojent venus de toutes parts pour conquester ce précieux prix. » On voit , dans Perceforest ( vol. V, fol. 22, 28), la description d'un célèbre tournoi dont le prix devoit être pareillement une jeune demoiselle à marier : le vainqueur devint son époux.

Une autre demoiselle, suivant le roman de Gérard de Roussillon (manuscr., fol. 99, recto), en provençal, choisit elle-même un brave chevalier pour être le châtelain de ses- terres et pour les défendre , et l'épousa dans la suite. On peut se rappeler ici ce que dit Froissart (1. 1, p. 222) des amours d'Eustache d'Auberticour avec madame Isabelle de Juliers , qui lui envoya souvent des chevaux en présent et qui couronna les exploits de ce brave chevalier par le mariage qu'elle contracta avec lui.

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Excès de libertinage :

Dans ces temps-là le mérite le plus accompli d'un chevalier consistoit à se montrer brave , gai , joli et amoureux. Quand on avoit dit de lui qu'il savoit également parler d'oiseaux , de chiens , d'armes et d'amour ; quand on avoit fait cet éloge de son esprit et de ses talents , on ne pouvoit plus rien ajouter à son portrait.

On ne parloit point de l'amour sans définir l'essence et le caractère du parfait et véritable amour ; et l'on se perdoit bientôt dans un labyrinthe de questions spéculatives sur les situations ou les plus désespérantes, ou les plus délicieuses d'un coeur tendre et sincère; sur les qualités les plus aimables ou les plus odieuses d'une maîtresse. Les fausses subtilités que chacun employoit pour défendre sa thèse, étoient appuyées, tantôt de déclamations in décentes contre les dames , tantôt de phrases pompeuses cent fois rebattues qu'on débitoit à leur honneur. Un juge de la dispute qui répondoit à ce qu'on appeloit prince d'amour , ou prince du Puy dans les cours d'amour, juridictions établies dans quelques contrées, pour connoître de ces importantes matières , un juge,dis-je, prononçoit des sentences presque toujours équivoques, obscures et souvent énigmatiques , auxquelles les parties se soumettoient avec une respectueuse docilité.

(…)

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Ces amants de l'âge d'or de la galanterie , qui semblent avoir moins puisé dans Platon que dans l'école des scotistes, les idées et les définitions de l'amour , ces espèces d'enthousiastes, se vantoient de n'aimer que les vertus, les talents et les grâces de leurs dames, d'y trouver l'unique source du bonheur de leur vie ; et de n'aspirer qu'à maintenir, qu'à exalter, et qu'à répandre en tous lieux la ré putation et la gloire qu'elles s'étoient acquises.

Prodigues de louanges exagérées , ils ne se seroient jamais permis d'avouer qu'il y eût une dame plus belle que celle qu'ils servoient ; quelques-uns même se vantoient de la plus violente passion pour celles qu'ils n'avoient jamais vues, sur le seul bruit de leur renommée. Une infinité de détails toujours puérils, étoient la seule expression des craintes , des espérances et de tous les sentiments dont leurs esprits étoient agités.

Cette métaphysique d'amour , ce vaste champ où s'exerçoient les plus beaux esprits qui brilloient parmi nos respectueux serviteurs des dames, n'avoit cependant point banni de leurs entretiens les images, les allusions, et les équivoques froides et obscènes , production ordinaire des esprits grossiers et licencieux. L'indécence fut portée aussi loin qu'elle pouvoit aller dans les écrits , et surtout dans les poésies de ce temps, où les hommes les plus qualifiés s'exerçoient dans la science gaie , c'est-à-dire dans l'art de rimer et de versifier.

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Comme il n'y avoit qu'un pas de la superstition de nos dévots chevaliers à l'irréligion , ils n'eurent aussi qu'un pas à faire de leur fanatisme en amour aux plus grands excès du libertinage (17). Ils ne demandoient à la beauté dont ils étoient esclaves, ou plutôt idolâtres, ils ne demandoient que la bouche et les mains ( termes empruntés de la cérémonie des hommages), c'est-à-dire l'honneur de tenir d'elles leur existence comme en fief; mais on ne les jugera pas trop légèrement, si l'on dit que souvent ils furent peu fidèles aux chaînes qu'ils avoient prises.

Jamais on ne vit les moeurs plus corrompues que du temps de nos chevaliers , et jamais le règne de la débauche ne fut plus universel. Elle avoit des rues , des quartiers dans chaque ville; et saint Louis gémissoit de l'avoir trouvée établie jusqu'auprès de sa tente , pendant la plus sainte des croisades. C'est Joinville même, confident de ses plaintes, qui nous les a rapportées. L'ignominie que ce prince voulut faire subir à l'un de ses chevaliers surpris en faute , prouve combien il étoit nécessaire d'arrêter les suites de la corruption générale. Le châtiment dont ce pieux monarque avoit trouvé l'exemple dans les loix communes du royaume, n'étoit guère moins scandaleux que le crime.

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Aux tendres conversations de nos chevaliers et de nos écuyers succédoient plusieurs jeux, qui souvent rouloient sur la galanterie , et dont quelques-uns qui nous sont demeurés , amusent à peine nos enfants. Un vain cérémonial de révérences, de génuflexions , de prosternations jusqu'à terre, consumoit le reste de leur temps dans un exercice continuel , aussi fatigant que ridicule.

Défions-nous des éloges que donne un siècle au siècle qui l'a précédé. L'amour antique (19), si tendre, si constant , si pur et si vanté, dont on fait toujours honneur à ses devanciers, fut le modèle que les censeurs, dans tous les ages , proposèrent à leurs contemporains : deux ou trois cents ans avant Marot on avoit comme lui , et presque dans les mêmes termes, regretté le train d'amour qui régnoit au bon vieux temps.

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(17) Quelques traits empruntés de différents siècles me serviront à prouver que la corruption de nos ancêtres ne le cédoit point à celle qui, dans tous les temps , excita la colère des censeurs publics. Le moine du Vigeois , vers 1180 , parlant de la licence qui régnoit alors dans les troupes , comptoit, dans une de nos armées, jusqu'à quinze cents concubines , dont les patures se montoient à des sommes immenses : ''Quorum ornamenta inestimabili thesauro comparata sunt.'' Le même historien nous apprend que le respect public ne les renfermoit point dans la classe qui leur convenoit : parées comme les plus grandes dames , on les confondoit avec ce qu'il y avoit de plus respectable : la reine elle-même y fut trompée , en voyant à l'église une femme de cette espèce : comme elle alloit au baiser de la paix, elle l'embrassa de même que les autres femmes. Ayant été depuis mieux informée, elle en fit des plaintes au roi son mari , et le monarque défendit que les femmes publiques portassent dans Paris le manteau , qui devint la marque à laquelle on distingua les femmes mariées.

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Le treizième siècle ne fut pas mieux réglé, même dans le temps où saint Louis donnoit l'exemple d'une vie toute chrétienne. (...)

Charles VI la cour même devint le théâtre du scandale. La plus ancienne et la plus édifiante de nos maisons religieuses en eut le triste spectacle , suivant le moine de Saint-Denis qui déplore en ces termes le malheur de son monastère.

Après le récit des tournois faits en 1380, à Saint-Denis (Hist. de Saint-Denys, ch. VI , p. 170 et 171) pour la Chevalerie du roi de Sicile et de son frère : « Jusques-là , dit l'historien , tout alloit assez bien , mais la dernière nuit gasta tout par la dangereuse licence de masquer et de permettre toutes sortes de postures plus propres à la farce qu'à la dignité de personnes si  considérables , et que j'estime à propos d'estre remarquées dans cette histoire pour servir d'exemple à l'advenir à cause du désordre qui en arriva. Cette mauvaise coûtume de faire le jour de la nuit, jointe à la liberté de boire et de manger avec excès , fit prendre des libertés à beaucoup de gens, aussi indignes de la présence du roi que de la sainteté du lieu où il tenoit sa cour. Chacun chercha à satisfaire ses passions ; et c'est tout dire qu'il y eut des marys qui patirent de la mauvaise conduite de leurs femmes, et qu'il y eut aussi des filles qui perdirent le soin de leur honneur. Voilà en peu de mots le récit de toute cette leste que le roi acheva de solemniser par mille sortes de présents , tant pour les chevaliers et les escuyers qui s'y signalèrent , que pour les dames et les damoiselles : il leur donna des pendants d'oreille de diamants , plusieurs sortes de joyaux et de riches étoffes, prit congé des principales qu'il baisa, et licencia toute la cour. » (...)

Si je rapporte encore les vers suivants d'un de nos poetes françois, qui ne peuvent point être pris à la lettre , c'est moins pour faire connoître la dépravation du siècle que pour donner une idée de l'esprit de nos écrivains qui repaissoient leurs lecteurs Une dame qui reçoit chez elle un chevalier ne veut point s'endormir qu'elle ne lui envoie une de ses femmes pou lui faire compagnie.

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La comtesse qui fut courtoise ,

« De son oste pas ne li poise (N'est pas fâchée d'avoir un tel hôte,)

Ainz li fist fére à grant delit ( Une grande joie) ,

En une chambre un riche lit.

Là se dort à aise et repose ;

Et la comtesse à chief se pose ( Enfin va se coucher. ),

Apele une some (sienne) pucelle,

La plus courtoise et la plus bele.

A consoil ( En secret , à l'oreille.) li dist, belle amie,

Alez tost , ne vous ennuie ( Qu'il ne vous déplaise.)

Avec ce chevalier gesir ,

(...)

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Si le servez, s'il est mestiers.

Je i alasse volentiers,

Que ia ne laissasse pour honte ;

Ne fust pour monseigneur le comte

Qui n'est pas encore endormiz. »

(Fabliaux mss. Du roi, n° 7615, fol. 210, verso, col. 1.)


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