Je rappelle que les textes suivants sont extraits de : '' Les Mémoires sur l'Ancienne Chevalerie'' 1759 - par Jean-Baptiste de La Curne de Sainte-Palaye (1697-1781)
Le Tournoi...: et les Dames ...
Tandis qu'on préparoit les lieux destinés aux tournois, on étalait le long des cloîtres de quelques monastères voisins, les écus armoiries de ceux qui prétendaient entrer dans les lices; et ils y restaient plusieurs jours exposés à la curiosité et à l'examen des seigneurs , des dames et demoiselles. Un héraut ou poursuivant d'armes nommait aux dames ceux à qui ils appartenaient ; et si parmi les prétendants il s'en trouvait quelqu'un dont une dame eût sujet de se plaindre, soit parce qu'il avait mal parlé d'elle, soit pour quelqu’autre offense ou injure , elle touchait le timbre ou écu de ses armes pour le recommander aux juges du tournoi, c'est-à-dire, pour leur en demander justice. Ceux-ci , après avoir fait les informations nécessaires, devaient prononcer; et si le crime avait été prouvé juridiquement , la punition suivoit de près. Le chevalier se pré- sentoit-il au tournoi malgré les ordonnances qui l'en excluoient, une grêle de coups que tous les autres chevaliers, et peut-être les dames elles-mêmes, faisoient tomber sur lui , le punissoit de sa témérité , et lui apprenoit à respecter l'honneur des dames et les loix de la Chevalerie. La merci des dames qu'il devoit réclamer à haute voix , étoit seule capable de mettre des bornes au ressentiment des cheva liers et au châtiment du coupable.
(...)
Le bruit des fanfares annonçait l'arrivée des chevaliers superbement armés, et équipés suivis de leurs écuyers, tous à cheval ils s’avançaient à pas lents, avec une contenance grave et majestueuse. Des dames et des demoiselles amenaient quelquefois sur les rangs ces fiers esclaves attachés avec des chaînes, qu'elles leur ôtoient seulement lorsqu'entrés dans l'enceinte des lices ou barrières ils étaient prêts à s'élancer. Le titre d'esclave ou de serviteur de la dame que chacun nommoit hautement en entrant au tournoi étoit un titre d'honneur qui ne pouvait être acheté par de trop nobles exploits il étoit regardé, par celui qui le portait, comme un gage assuré de la victoire, comme un engagement à ne rien faire qui ne fût digne d'une qualité si distinguée : ''Servants d'amour'', leur dit un de nos poetes, dans une ballade qu'il composa pour le tournoi fait à Saint-Denys sous Charles VI, au commencement de mai 1389,
( …) A ce titre les dames daignoient joindre ordinairement ce qu'on appeloit faveur, joyau, noblesse, nobloy ou enseigne : c’était une écharpe, un voile, une coiffe, une manche, une mantille, un bracelet, un nœud ou une boucle ; en un mot quelque pièce détachée de leur habillement ou de leur pa rure; quelquefois un ouvrage tissu de leurs mains , dont le chevalier favorisé ornoit le haut de son heaume ou de sa lance, son écu, sa cotte d'armes, quelqu'autre partie de son ar mure et de son vêtement. Souvent dans la chaleur de l'action , le sort des armes faisoit passer ces gages précieux au pouvoir d'un ennemi vainqueur; ou divers accidents en occasionoient la perte. En ce cas, la dame en renvoyait d'autres à son chevalier, pour le consoler et pour relever son courage : ainsi elle l'animoit à se venger, et à conquerir à son tour les faveurs dont ses adversaires e'toient parés, et dont il devoit ensuite lui faire une offrande
L'usage de ces enseignes, appelées d'autres fois connaissances, c'est-à-dire signes pour se reconnoître, a produit dans notre langue ces façons de parler , « à telles enseignes , à bonnes enseignes ».
Henri IV qui conserva toujours le caractère de l'ancienne Chevalerie , portoit encore dans sa parure des enseignes gagnées dans des combats plus sérieux et plus importants. Comme il étoit devant Dreux , et qu'il reçut la visite de sa bonne cousine , la duchesse de Guise à qui il avoit envoyé un passeport, il alla au-devant d'elle, et l'ayant conduite en son logis et en sa chambre, il lui dit : « Ma cousine, vous voyez comme je vous ayme, car je me suis paré pour l'amour de vous.
- Sire ou Monsieur, lui répondit-elle en riant , je ne vous en remercie point, car je ne vois pas que vous ayez si grande parure sur vous que vous en deviez vanter si paré comme dites.
- Si ay,dit le roi, mais vous ne vous en avisez pas ; voilà une enseigne ( qu'il montra à son chapeau) que j'ai gagnée à la bataille de Coutras pour ma part du butin et victoire ; cette qui est attachée, je l'ay gagnée à la bataille d'Ivry : voulez-vous donc, ma cousine, voir sur moi deux plus belles marques et parures pour me montrer bien paré?
Maclame de Guise le lui avoua en lui repliquant : - Vous ne sçauriez, sire , pourtant m'en montrer une seule de monsieur mon mary.
- Non, dit-il, d'autant que nous ne nous sommes jamais rencontrez ni attaçquez ; mais si nous en fussions par cas venus là, je ne sçay ce que s'en fust esté.
A quoi repliqua madame de Guise : - Sire , s'il, ne vous a point attaqué , Dieu vous en a gardé; mais il s'est bien attaqué à vos lieutenants et les a fort bien frottez , témoin le baron Doué duquel il en a remporté de fort bonnes enseignes et belles marques ; sans s'en estre paré que d'un beau chapeau de triomphe qui lui durera pour jamais. »
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De même que le vassal à la guerre prenoit le cri du seigneur dont il relevoit , de même aussi les chevaliers demandoient aux dames dont ils étoient serviteurs, quels cris elles vouloient qu'ils fissent retentir en combattant pour elles dans les tournois.
Il y a quantité de demi-mots énigmatiques et de sens couvert, parce qu'ils ne sont entendus que de celui qui les porte ; c'est ce qu'on a affecté en la pluspart des tournois où les chevaliers prenant des devises d'amour, se contentoient d'être entendus des personnes qu'ils aimoient, sans que les autres pénétrassent dans le seus de leur passion.
L'usage de ces devises a donné lieu à cette fiction des arrêts d'amour. Un amant ayant entrepris de jouter, « fit faire harnois et habillements qu'il divisa à la plaisance (de sa dame) et où il fit mettre la livrée de sa dite dame, et avec ce eut chevaulx et lance et housse de même. Quand vint au departir qu'il cuidoit trouver sadite dame pour avoir sa bénédiction , elle feignit d'estre malade en se faisant excuser, et dire qu'elle ne pouvoit parler à lui.... La court d'amour condamna la damoiselle à habiller, vestir et armer ledit amoureux demandeur la première fois qu'il voudra jouster, et conduire son cheval par la bride tout du long des lices ung tour seulement, luy bailler sa lance en disant : Adieu , mon amy , ayez bon cœur , ne vous souciez de rien , car on prie pour vous. » ( Arresta amorum, p. 366 ad 368.)
Les chevaliers étoient souvent invités à se rendre aux tournois avec leurs femmes, leurs sœurs ou autres parentes, mais surtout avec leurs maîtresses ( Perceforest, vol. III, fol. i25, verso, col. i).
Les chevaliers vainqueurs faisoient des offrandes aux dames ; ils leur présentoient quelquefois aussi les champions qu'ils avoient renversés et les chevaux dont ils leur avoient fait vider les arçons. Dans le roman de Floire et de Blancheflor ( fol. 4i , intitulé le Jugement d'amors , dans un manuscrit du roi ), la demoiselle qui aime un chevalier, reproche à celle qui a pris un clerc pour son ami , d'avoir fait un mauvais choix.
J'en ai fait un bien meilleur , dit-elle : « Mais mon ami est bel et gent : Quand il vait à tournoiement Et il abat un chevalier, Il me présente son destrier. »
Le vainqueur, conduit dans le palais, y étoit désarmé par les dames qui le revêtoient d'habits précieux : lorsqu'il avoit pris quelque repos elles le menoient à la salle où il étoit attendu par le prince , qui le faisoit asseoir au festin dans la place la plus honorable. (…)
Lancelot du Lac nous peint, dans un endroit de son roman, l'air timide, embarrassé et même honteux , d'un jeune héros assis à table entre le roi et la reine , après s'être couvert de gloire dans un tournoi.
Les mêmes principes de modestie inspiroient aux chevaliers vainqueurs des attentions particulières pour consoler les vaincus et pour adoucir leurs peines … (…)
...Alain Chartier , dans le poëme où cet auteur fait parler quatre dames dont les amants ont chacun éprouvé un sort différent à la funeste bataille d'Azincourt. L'un d'eux a été tué; l'autre a été fait prisonnier; le troisième est perdu et ne se retrouve point ; le quatrième est sain et sauf, mais il ne doit son salut qu'aune fuite honteuse. On représente la dame de celui-ci comme infiniment plus à plaindre que ses compagnes , d'avoir placé son affection dans un lâche chevalier: Selon la loi d'amour, dit-elle, je l'eusse mieux aimé mort que vif. Le poëte ne blessoit point la vraisemblance ; les sentiments qu'il prêtoit aux dames étoient alors gravés dans tous les cœurs.
Le désir de plaire aux dames fut toujours l'ame des tournois. On lira avec plaisir, dans le roman de Perceforest (vol. IV ,ch. VI, fol. 19, verso , et 20, recto), les plaintes que fait ce prince à l'un de ses confidents , de l'inaction et de la langueur de ses chevaliers qui, dans le sein de leur bonheur, ont abandonné les joutes, les tournois, les quêtes merveilleuses , et tous les bons exercices de la Chevalerie ; il compare leur engourdissement au silence du rossignol qui ne cesse de mener joyeuseté en servant sa dame de mélodieux chant , jusqu'à ce qu'elle se soit rendue à ses prières. Les chevaliers pareillement , à la vue des clairs visages , des yeux vairs et riants et des doux regards attrayants des pucelles , ayant commencé à faire joutes et tournois , remplirent l'univers du bruit de leur vaillance : ils firent des exploits incroyables, jusqu'à ce qu'enfin ils eussent désarmé la rigueur des beautés qu'ils servoient.
La fidélité à tenir sa parole, cette vertu héréditaire des François , étoit regardée comme le plus beau titre des Gaulois , au jugement des Romains leurs ennemis. ...(..)
Le roi Artus ayant donné sa parole à un chevalier de lui laisser emmener la reine sa femme , n'écouta ni les plaintes de cette princesse , ni les représentations qu'on put lui faire; il ne répondit autre chose, sinon qu'il l'avoit promis , et que roi ne se doit dédire de sa promesse. Lyonnel , qui veut l'en détourner, lui réplique : Donc est le roy plus serf (esclave de sa parole) que autre, et qui vouldroit estre roy honny soit-il. (En ce cas maudit soit qui voudroit être roi.) La reine est emmenée pour acquitter la parole de son mari. (Lancelot du Lac, t. II, fol. 2 , recto, col. 1 .) La foi donnée au nom de la Chevalerie étoit de tous les serments le plus inviolable.
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En effet, si l'honneur de toutes les daines, en général, étoit extrêmement recommandé aux chevaliers , il l'étoit bien davantage à ceux qui étoient particulièrement attaches à la maison ou à la personne d'une dame. Attenter à l'honneur de la femme de son seigneur, étoit un crime capital de lèze-féodalité , et le plus irrémissible de tous ceux qui emportoient la confiscation du fief que l'on tenoit sous son hommage ; lui enlever le cœur de sa femme, c'étoit lui arracher la vie. Si l'on en croit l'auteur du roman de Lancelot du Lac (t. III, fol. 34, recto, col. 2), le vassal ou le chevalier informé de la mauvaise conduite que tenoit la femme de son seigneur, ne pouvoit le lui dissimuler sans se rendre criminel ; il ne devoit avoir rien de caché pour lui. Aggravain découvre au roi Artus l'affront fait à ce prince dans la personne de sa femme , par Lancelot qu'elle aimoit, et Mordrec ajoute: « Nous la vous avons tant celé que nous avons peu , mais au dernier convient-il que la vérité soit descouverte , et de tant que nous l'avons celé nous sommes parjurez, si nous en acquitons et disons plainement qu'il est ainsi. » (Lancelot du Lac, t. III , p. 134, recto , col. 2.)
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La somme des biens qu'un chevalier peut posséder, suivant Lancelot du Lac (t. II, fol. 160, recto), sont : Force, hardiesse, beauté, gentillesse, débonaireté, courtoisie, largesse et force d'avoir (richesses) et d'amis.
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Les dames ont aussi diverses manières de se mettre en honneur ; la beauté , la vertu , l'éloquence, la bonne grâce, le don de plaire et celui de la sagesse. C'est un grand mérite que celui de la beauté dans une dame; mais rien ne l'embellit tant que l'esprit et la sagesse. C'est là ce qui lui attire de tout le monde l'hommage qui lui est dû. ...