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Christiane Veschambre, 'Écrire' Un caractère par Angèle Paoli

Publié le 07 mai 2018 par Angèle Paoli
Christiane Veschambre, 'Écrire' Un caractère,
éditions Isabelle Sauvage, collection singuliers pluriel, 2018.


Lecture d’Angèle Paoli

«ÉCRIRE NOUS TRAVAILLE »

Qui est « Écrire » ? Qui et non pas Qu’est-ce qu’« Écrire »… « Écrire » est bien le personnage qui occupe le terrain de l’écriture. La totalité du terrain. Jusque dans les recoins les plus personnels, les recoins les plus familiers de l’auteure chez qui « Écrire » a élu domicile. Plus encore qu’un personnage, « Écrire » est Un caractère. C’est ainsi que Christiane Veschambre définit celui qui s’est imposé à elle, prenant ses aises pour l’habiter, elle, tout entière investie par lui, de fond en comble. « Écrire » est donc une entité particulière, endogène, qui vit sa vie propre à l’intérieur de celle sur qui ce caractère a jeté son dévolu sans lui demander son avis. « Écrire » est libre et n’en fait qu’à sa tête. C’est un fichu caractère. Il s’invite quand il veut comme bon lui semble. « Écrire » a ses fantaisies, ses humeurs, ses appétences. « Écrire aime le cinéma » / « Écrire n’aime pas qu’on en parle » / « Écrire aime le chemin des Brûlards. » « Écrire n’est pas une mignonne créature ». « Il est sans pitié ». « Écrire » est exclusif. Il ne transige pas. Il pousse son hôte jusque dans ses derniers retranchements et ses ultimes contradictions. Jusque dans « la solitude par laquelle il nous met en (sa) demeure. » C’est ce que la poète découvre au fur que se profile son compagnonnage avec « Écrire », cet hôte étrange qui la travaille de l’intérieur.

De ce compagnonnage exigeant, Christiane Veschambre fait un livre. Un livre unique en son genre. Car Écrire n’est ni un essai ni une biographie, ni un traité ad usum Delphini (à l’usage d’écrivains en herbe). Écrire Un caractère se défausse. Écrire échappe. Rejette toute définition.

« Écrire n’a pas de biographie.
Il n’a pas de dates de naissance et de mort : n’arrête
pas de naître et disparaître. »

Écrire est bien au-delà de tout classement, de toute étiquette. C’est sa grande force en même temps que son originalité : « il » est écrit de l’intérieur de celle qu’il occupe. Toujours en ébullition, jamais définitivement achevé.

Chaque nouveau texte (les plus longs d’entre eux occupent deux pages) est introduit par une phrase qui met en scène la nouvelle lubie d’« Écrire » :

« Écrire parfois fait le mort » / « Écrire aime marcher » / « Écrire n’apprend rien »…

La première entrée en texte donne le ton. Et, plus encore que le ton, l’esprit, l’état d’esprit qui gouverne cet injonctif qu’est « Écrire » :

« Écrire ne veut pas travailler.
Écrire nous travaille ».

Ou encore, un peu plus loin : « Comment Écrire revient — ce n’est pas nous qui revenons. »

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Qu’il s’agit de dire. Dire comment « Écrire » se faufile à travers failles et mailles, et dire comment cet « Écrire » prend ses aises, dans l’intime corps-à-corps avec celle qu’il habite. Et comment il la tenaille jusqu’à ce que cèdent les résistances. Autant dire qu’il est actif cet « Écrire ». « Il sécrète son monde, qui n’existe pas avant… »

Même s’il est formulé au masculin, « Écrire » n’a pas de genre. Un humain, « Écrire » ? Pas vraiment. Même s’il présente tous les traits de caractère d’un humain, il ne faut pas se leurrer :

« Écrire n’est pas un humain, il s’invite chez des humains et des humains, sous des formes qui parfois (souvent) leur sont étrangères (celles de leur disposition subjective infiniment secrète). Ainsi Lucy Muir écrit-elle en capitaine Gregg, Gustave Flaubert en saint Antoine, Franz Kafka et Clarice Lispector en cloporte, Stéphane Mallarmé en ours, Arthur Rimbaud en autre, et Emily Dickinson en Emily Dickinson (étrangère qui écrit en étrangère). »

Plutôt qu’un humain, « Écrire » est un « organisme vivant » qui se joue des vivants qu’il choisit d’habiter ; il se moque bien de leurs règles, de leurs usages, de leurs manies de vouloir que la chose écrite entre dans telle case ou dans telle définition. « Écrire » s’impose. Il fait la loi. En être autonome, indépendant. Un brin contestataire. Un tantinet anarchiste aussi.

Avec le temps et avec la fréquentation assidue, plus ou moins opportune, plus ou moins agréable d’« Écrire », s’établit non pas un dialogue mais une relation fondée sur l’observation. À le fréquenter de près cet « Écrire », « on » finit par le connaître, voire le comprendre. Car sa présence insistante et ses agissements, parfois inattendus, conduisent à la connaissance de soi. Du soi écrivant. Un soi qui remet en question son « je » singulier. Le partenaire pronominal idéal de « il » sur la page, est le « on ». L’impersonnel :

« Écrire cherche à me traverser d’une puissance — « la puissance d’un impersonnel qui n’est nullement une généralité, mais une singularité au plus haut point », comme l’écrit Gilles Deleuze. Aussi, moi délogé (il est là, à côté), je peux dire on… ».

Parfois, au détour d’un texte, « je » sort de sa coquille et s’invite, qui relate une expérience particulière :

« J’avais proposé d’écrire un poème de choses qu’on sait, un poème de choses qu’on ne sait pas… ».

Mais le « je » qui se dit là s’est momentanément départi d’« Écrire ». « Écrire » s’est éclipsé, qui est absent de ce texte, lequel est introduit par « LES ENFANTS ». « Les enfants avaient écouté la lecture du dialogue entre Ernesto et sa mère » (in Les Enfants, Marguerite Duras). Le « maître d’apprentissage » qu’est « Écrire » a changé de forme, de travail. Il a quitté le corps de la poète qui se fait passeuse en écriture auprès d’enfants, dans un atelier d’écriture. La relation est autre, qui relie l’adulte à l’enfant ou inversement. Pendant ce temps-là, « Écrire » se tient coi.

Dans le travail d’observation qui se joue de la distanciation instaurée par « Écrire », on énonce tout ce qu’« Écrire » impose de contraintes, impose de doutes, de combinaisons, de compromis avec soi ou contre soi. Tout ce qu’« Écrire » induit suscite révèle. Zones de petits arrangements avec soi et zones d’ombres. On connaît bien tous les atermoiements et tergiversations qu’on s’invente pour repousser le moment de se mettre au travail dans un tête-à-tête avec « Écrire ». Mais on finit par débusquer « Écrire » ; et l’on se moque de lui à son tour. On a appris. Il est désormais possible de déjouer les entreprises d’« Écrire » et de lui lancer des clins d’œil moqueurs, à l’image de ce dernier :

(« Écrire est moqueur. Se moque des livres écrits avec un moi confortablement logé, bien meublé, accueillant et séduisant, ayant à sa disposition toutes sortes de ressources, culture, habileté, expérience technique, idées, musicalité, ou tout autre capable de composer un livre à son tour bien logeable. Si Écrire passe devant, il regarde son costume et rit. »)

C’est un portrait d’« Écrire » plein d’humour, vivifiant et « incarné », que propose Christiane Veschambre dans cet ouvrage. Une réussite. Un vrai bonheur.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Christiane Veschambre  Ecrire Un caractère



CHRISTIANE VESCHAMBRE

Christiane Veschambre

Ph. Pier Paolo Iagulli
Source


■ Christiane Veschambre
sur Terres de femmes

[Écrire n’a pas d’objet] (extrait d’'Écrire' Un caractère)
Basse langue (lecture d’AP)
→ Une Hôtesse minuscule (extrait de Basse langue)
→ [Cela s’est passé lundi] (extrait d’Ils dorment)

■ Voir aussi ▼

→ (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Christiane Veschambre
→ (sur En attendant Nadeau) un entretien avec Christiane Veschambre, par Gérard Noiret
→ (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) la page de l’éditeur sur 'Écrire' Un caractère



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