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Inquisition du langage vs néologismes hérétiques (râlerie)

Publié le 30 mai 2018 par Hesperide @IsaBauthian

Râlerie initialement parue dans le Lanfeust Mag de décembre 2017.

Je suis une autrice agenre, pansexuelle, sapiosexuelle, et semble-t-il neurotypique.

Et il parait que c’est moche.

En tout cas, c’est l’avis d’un tas de gens. Vous savez, ces gars qui vous expliquent (pardon : qui vous gueulent à la face, avec des hoquets dans la voix et les larmes aux yeux) que NON MAIS ON S’EN FOUT DE VOS PETITES CASES, ON EST TOUS DES HUMAINS, D’ABORD, ET C’EST QUOI CETTE MANIE DE MASSACRER LA LANGUE FRANÇAISE ET D’INVENTER DES NOUVEAUX MOTS POUR JUSTIFIER VOS CONVICTIONS POLITIQUES ! EN PLUS, CES MOTS, ILS SONT TOUS HIDEUX ET ILS VEULENT RIEN DIRE, BANDE DE MOUTONS QUI ONT BESOIN D’UN GROUPE POUR EXISTER, ET QUI N’ONT MÊME PAS FAIT LETTRES CLASSIQUES, OPTION ÉTYMOLOGIE LEVEL 12, AVANT D’OSER SOUILLER NOTRE FRANÇAIS SACRÉ, PARBLEU DE MORDIOUX, ET SAPERLIPOPETTE !

Alors.
Je sais qu’on vit dans un pays qui part du principe que la langue est une chose pure (vous savez, comme toutes les langues mortes). Les autorités, incarnées en cette institution délicieusement infatuée qu’est Académie Française (composée, je le rappelle parce qu’on a tendance à l’oublier, d’environ ZÉRO linguiste), ont décidé que seule une caste dominante autoproclamée aurait le droit d’y apporter des retouches (un jour, je vous parlerai de la masculinisation arbitraire et idéologique du français sous Richelieu, et des naïfs pédants sous-cultivés qui s’appuient dessus, sans que la contradiction leur fasse trembler les guiboles, pour nous affirmer qu’il faut pas coller de politique dans les mises à jour du dico). Je sais que cette douce Académie a plus ou moins acté, alors que nos amis de l’Albion remerciaient Shakespeare d’avoir enrichi leur langage de mots nouveaux dont il avait l’usage, que Rabelais, qui nous offrait la même beauté sur un plateau, c’était de la beauferie pour populace fangeuse. Et je sais que les fidèles disciples de cette institution, qui nous expliquent qu’EUX n’ont pas besoin de se regrouper pour exister (cherchez l’erreur), n’aiment pas trop qu’on vienne bousculer leur doctrine. Reste qu’il leur serait bon de considérer deux choses :
– L’évolution de la langue, de tout temps, est politique
– Les mots, en fait, c’est quand même bien pratique pour exprimer des trucs et savoir de quoi qu’on cause.
Donc, oui, je suis une autrice agenre, pansexuelle, sapiosexuelle, et semble-t-il neurotypique, et la plupart de ces mots sont des néologismes, contrairement, si l’on en croit votre petit déni confortable, à ceux utilisés pour vous définir vous, qui ont dû apparaître par génération spontanée. Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Et Dieu il a juste nommé les gens qui me ressemblent, alors on peut faire style que les autres n’existent pas, quel coup de bol mâtiné de pure coïncidence hasardeuse, dites donc ! Pas de chance, chouchous, les autres existent, ils sont même parfois la majorité, et, de temps en temps, si ça vous dérange pas trop, ils ont envie de parler un peu de leur gueule sans devoir faire douze périphrases pour dire « je ».

Inquisition du langage vs néologismes hérétiques (râlerie)

On me signale à l’oreille que le problème c’est pas ça (genre !), mais ces personnes qui ne se définissent que par leur différence. Sauf que (1) ce comportement me gonfle aussi, mais j’ai pas le monopole du savoir-vivre et les gens font bien ce qu’ils veulent, et (2) je ne tiens pas à vous faire le coup du miroir magique mais, euh… vous avez vraiment pas remarqué que vous faites exactement la même chose ? Vous n’êtes pas des rebelles les aminches. Et certainement pas des personnalités si sures d’elles et si flamboyantes que vous n’avez nul besoin, contrairement à toutes ces petites choses, d’une bande pour vous définir. Non, vous AVEZ une bande, et votre bande s’est trouvée en position de CRÉER les termes canoniques, de CHOISIR ceux qui feraient d’ELLE la normalité, et de les VALIDER officiellement pour se conforter dans cette illusion. Et cette dominance, avec une ironie d’une énormité qui pourrait me décoller la rate si elle n’avait pas des conséquences si merdiques, vous a rendus TELLEMENT VULNÉRABLES que vous rejetez avec violence (parce que personne ne fait de caca nerveux face à un sujet dont il se fout, hein) les mots qui apparaissent enfin pour simplement SIGNIFIER l’existence d’une alternative. Comme si celle-ci allait effacer votre réalité.

Mais il y a une logique, dans cette aberration. Ce discours de peur panique, c’est celui de gens dont l’engeance, durant des siècles, s’est essuyé les pieds sur la gueule d’un tas de personnes, et qui se pissent dessus à l’idée d’un retour de bâton. « Soyez heureux que nous ne réclamions que l’égalité, et pas une réparation », s’entend parfois dans les milieux militants. Soyez heureux, en effet, que les racisés, homosexuels, transsexuels, neuroatypiques, polyamoureux, queers, qui luttent contre le patriarcat, la mecsplication et les whitetears (oh ! doux Jésus, un néologisme anglo-saxon ! CRAIGNEZ LE GRAND REMPLACEMENT !), vous demandent uniquement de reconnaître leur existence. Soyez heureux qu’ielles (haha ! c’est moi l’autrice et c’est ma rubrique, tu peux rien faire !) ne vous oppressent qu’avec des créations linguistiques d’une esthétique sonore contestable.

Vous avez le droit de trouver moche ce dont vous n’avez pas l’habitude parce que vous avez eu le privilège de pouvoir l’ignorer. Mais n’essayez pas de rationaliser votre petite fragilité. N’essayez pas de faire croire que vos mots sont jolis, objectifs, neutres ou, encore plus lolilol, dépolitisés. Ne vous ridiculisez pas en prétendant mépriser les cases alors que vous vous lovez si confortablement à couvert dans la vôtre. Et ne vous sentez pas non plus obligés de nous signaler systématiquement que ces termes, pour certains créés par des foutus SCIENTIFIQUES parce qu’ils les leur FALLAIT pour décrire des FAITS AVÉRÉS et les étudier, vous écorchent les tympans.

Après tout, est-ce qu’on vous arrête dans la rue, nous, pour vous faire savoir qu’on n’aime pas votre gueule ?

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