Le mystère de la maison moisie – partie 1

Publié le 05 juin 2018 par Lordwintert @LordWinterT

Parce que sans lui, 

le monde serait moins bizarre et absurde,

Moins inquiétant et moins étrange…

… Moins beau, en quelque sorte.

Chapitre 1 : Ce matin-là

Ce matin-là, comme à son habitude, Gyen ouvrit les yeux à 8 heures. Il n’était pas vraiment le genre d’homme qu’on pouvait qualifier comme « quelqu’un du matin ». On ne pouvait pas sérieusement considérer qu’il était « quelqu’un du soir non plus ». En réalité, la seule chose qu’on pouvait dire de lui est : qu’il était quelqu’un – et ça, quel que soit le moment de la journée. Alors qu’il se levait de son lit, il fut ravi de constater qu’il était toujours lui-même. Il faut bien admettre que la chose est fort peu agréable au saut-du-lit de découvrir qu’on est devenu en quelques heures de sommeil quelqu’un d’autre. Quelqu’un avec des goûts différents, une voix différentes, un corps tout différent. Il est, par exemple, très désagréable dans ces moments-là de ne pas reconnaître ses propres dents alors qu’on les parcours du bout de la langue. Or, ce matin là – et Gyen le confirma lorsqu’il se rencontra dans le miroir, il était toujours le même que la veille au soir. Il étira ses membres engourdies. Il cligna courageusement des yeux face à la glace de sa salle de bain et esquissa un sourire quant au résultat. Il était ravi de constater que, tandis que ses yeux était fermés, il n’avait pas disparu. Là encore, il faut bien reconnaître qu’il est parfaitement déplaisant de disparaître face au miroir de sa salle de bain alors qu’on est nu et mal réveillé, avec les dents pas brossées et son haleine du matin. Mais il était toujours bien là et cette idée le réconforta à tel point qu’il s’autorisa à cligner des yeux une seconde fois.

Parfait. Toujours pas de disparition.

Gyen passa quelques vêtements. Une sorte de mix entre ceux encore frais d’hier et des propres pliés dans le tiroir du dessus de la petite commode blanche en face du lit. Il ne prenait jamais ceux du tiroir du dessous. En vérité, il n’ouvrait plus jamais le tiroir du dessous depuis la fois où ce dernier – au lieu d’offrir des rangées de chaussettes pliées par paires – lui avait ouvert une vue sur une obscurité abyssale de laquelle une voix lui avait crié : « Je te vois Thibaut. Je te vois. Oui, c’est bien à toi que je parle Thibaut. Ce n’est pas la peine de me regarder avec ses yeux et ton sourire en coin. Je sais que tu sais que je t’ai vu faire. N’essaye pas de me duper du contraire. »

Chose qui lui avait semblé surréaliste, puisqu’il ne s’appelait pas du tout Thibaut.

Mais alors qui était ce Thibaut ?

Gyen ne l’avait jamais su. Aussi il avait préféré ne jamais rouvrir le tiroir. Même s’il avait du pour cela se racheter une collection complète de paires de chaussettes.

Gyen descendit prendre son petit déjeuner. Il aimait bien l’idée de commencer la journée de cette manière. Il avait très fortement envie de quelque chose de sérieux et de subsistant. Tel que des saucisses, des œufs, des haricots à la tomate, un peu de lard et des toasts. Et un bon café, oh oui, un bon café. En ouvrant son frigo, la triste réalité le frappa mollement sur la joue. Il n’était riche que d’une demi-bouteille de lait demi-écrémé, d’une boîte à œufs vide – dépouillant l’objet de sa fonction première et le reléguant au rang de « juste » boite – et d’une paire de semelles pour chaussures qu’il gardait car il aimait la sensation fraîche sous sa voûte plantaire lorsqu’il mettait ses boots en été. Il se résigna donc à un simple café au lait tout nul – parce qu’il n’avait également plus de bon café – en se disant qu’il se vengerait sur le déjeuner.

Son petit déjeuner gâché, il se décida à attaquer sa journée. Il n’avait rien de prévu ce matin-là. Gyen savait que les matins où rien n’était prévu étaient les pires. Ils finissaient trop souvent de manière inattendue et désagréable. Comme il allait bientôt le découvrir, ce matin-là, ne ferait pas exception à cette règle. Il revêtit sa veste de cuir marron – moche et confortable – et ses boots – sans les semelles fraîches du frigo parce que nous étions au mois de février et qu’elles n’étaient donc pas à propos. Alors que sa main s’apprêtait à saisir la poignée de la porte d’entrée, il entendit une voix par-dessus son épaule.

  • Billet s’il vous plaît.
  • Pardon, dit Gyen en se retournant.
  • Billet s’il vous plaît, répéta le contrôleur qui se trouvait face à lui. Gyen fouilla les poches de sa veste et – dans le fond de la poche secrète à l’intérieur de la poche intérieur – il trouva un petit billet de train orange. Le contrôleur prit le billet et le poinçonna en disant : Ah, Dundee ! Vous descendez au prochain arrêt, mon garçon.

Gyen trouva que le « mon garçon » était totalement superflu compte tenu qu’il ne devait pas y avoir un écart d’âge si grand entre eux. Mais il ne dit rien à ce sujet. Il ne dit rien non plus concernant le fait qu’il se trouvait soudain dans un train en direction de Dundee et non plus dans son hall d’entrée. Cela ne servait à rien de se poser une telle question puisqu’il était de toute façon sur le point d’arriver.

En descendant sur le quai, une bourrasque de vent froid et humide lui balaya désagréablement le visage. Il pouvait y sentir les embruns de la mer du nord, mais aussi une odeur acre et tenace qui n’avait rien à voir avec la mer. Dans son esprit ça sentait comme quelque chose de violet, ou pire, de Bordeaux… Oui, c’était ça. Une odeur Bordeaux. Le parfum de quelque chose de malsain et malhonnête à la fois. D’une chose qui s’insinue lentement et pénètre salement par capillarité dans tous les recoins. C’était insupportable. Il lui fallait immédiatement en trouver la source afin de mettre un terme à ses effluves. Tel un limier, il se mit à suivre l’odeur. Son nez le porta jusqu’au pont neuf et sur la rive opposée de Tayport. C’était un minuscule village de pêcheurs empreint d’un charme pittoresque fou. Là, il erra entre les habitations. Il crut à un moment avoir perdu la piste, après avoir passé l’église en face de l’unique restaurant de la rive : une baraque à fish n’ chips.

Mais au détour d’une rue, l’odeur le frappa de nouveau de plein fouet. Il continua son chemin entre les petites habitations et arriva jusqu’à une impasse. Il sut la reconnaître au premier regard. Elle n’était pas imposante ou effroyable d’aucune sorte. Elle arborait de jolie couleur sur une jolie forme d’ensemble. Mais l’odeur… Il savait qu’elle était habitée d’une chose malsaine. Au moins, il avait rapidement compris la raison de son arrivée dans cette ville ce matin-là. Il devait entrer dans cette maison.