Je me souviens encore de ce jour où je tombai sur un article de Marlène Schiappa, notre actuelle secrétaire d’État aux droits des femmes, qui se demandait s’il était possible de boycotter le réveillon du Nouvel An sans passer pour un misanthrope. (Non, en vrai je ne m’en rappelle pas du tout, faut pas déconner, j’avais juste fait une note de blog dessus, dans laquelle je vais d’ailleurs allègrement pomper pour rédiger cette râlerie). À l’époque, mon premier réflexe fut de me dire que nanméo, d’abord, hé, qu’est-ce que j’men fous, moi, de ce pour quoi qu’est-ce que je passe, hein ? J’fais c’que j’veux et j’vous emmerde, zyva, ta mère en robe Tati sous le gui. Mais, ce retour d’âge top rebelle terminé, une réflexion peu plus pertinente s’imposa avec acuité à mon esprit digressif, sous la forme d’une question simple : « À supposer que je ne sois point fêtarde (je ne SUIS point fêtarde), pourquoi, grands dieux, devrais-je me sentir obligée de boycotter ? »
Parce que… OK, chacun se souvient avec émotion de ce moment de sa vie où il réalisa qu’il est parfois difficile de ne pas se fondre dans le moule sans se faire regarder de travers, moment qui signa la fin de son enfance et le début de l’abandon de tous ses rêves de guitare, de tournées et de rails de coke pour envisager la morne tristesse d’un bureau à La Défense. Oui, la différence est menaçante, oui, affirmer sa personnalité n’est pas toujours simple (ceci dit, ça s’appelle grandir, et c’est pas non plus censé être un chemin de croix), oui, la pression de la société, houlala, et ça demande du courage de devenir soi-même, je vous dis pas ma bonne dame, alors, forcément, on aime bien que ceux qui y arrivent le crient haut et fort, ça les rend plus normaux à nos yeux apeurés.
Donc, allez, je peux bien boycotter si ça vous fait plaisir. Mais quelque part ça me contrarie un peu parce que l’activisme c’est fatiguant, surtout quand on se tamponne de la cause, et moi tout ce que j’apprécierais, c’est passer la soirée avec une verveine menthe et un bouquin dans mon pyjama en pilou (ou une bière face à Game of Thrones, ma foi, je suis pas bégueule, je veux bien faire un effort de conformisme).
Je ne fête pas le Nouvel An pour deux raisons très bêtes. La première, je l’ai déjà mentionnée : c’est un truc de fêtard et je ne suis pas fêtarde. Peu de choses me plongent dans une perplexité plus intense que la danse en groupe et les cotillons, je ne picole pas, je HAIS le champagne, et devoir m’attifer classe me gonfle rien que de l’écrire (qu’est-ce que vous avez contre les jeans et les Converse, les mecs ? Je vous assure qu’on peut bouffer distingué en jeans et en Converse). J’aime sortir avec des potes ou aller au spectacle (tavu comme je sonne début vingtième ? « Aller au spectacle »), mais la fête, dans son côté lâchage de soupapes débridé et délires youpi-tralalère, je n’en ai tout connement jamais. ressenti. le moindre. foutu. besoin. La seconde raison, je l’avoue quitte à passer pour une pouffiasse hautaine (mais c’est pas comme s’il vous restait des doutes) : célébrer une date, c’est un concept qui me passe un peu au-dessus de la frange. Encore, on parlerait d’un truc ‘achement ancré dans mon passé, ma culture ou que sais-je, je ne dis pas. Mais le premier jour de l’année du calendrier grégorien, mis en place au XVIe siècle pour empêcher Montaigne de calculer son âge (googlisez, vous trouverez), c’est pas un événement qui secoue ma passion du symbole. Et c’est en général à ce stade de mon argumentation qu’arrive la phrase qui tue :
« Naaaan mais c’est boooon, fais pas chieeer, c’est juste une occasiiiooooon, quoiiii. »
Phrase à laquelle je réponds de façon tout aussi létale :
– Oui.
– Et ?
Parce qu’à la limite, si tu m’invites à un truc cool (donc sans cotillons, sans musique de merde et avec un vrai choix dans les boissons), je veux bien me mettre un pied au popotin, hein. Comme je l’ai dit, en vrai, ça me contrarie de boycotter, surtout quand on parle de bouffe gratos. Mais des occasions, finalement, yen a d’autres, à des moments où on ne se pèle pas de froid, où le périf’ n’est pas peuplé de connards alcoolisés, où c’est pas une chierie pour trouver un baby sitter, et où on a eu le temps de digérer la dinde aux marrons.
Je ne fête pas non plus la Saint-Valentin. Pas parce que c’est consumériste gnigni ou qu’on n’a pas besoin de ça pour se dire qu’on s’aime gnagna. Non, je ne fête pas la Saint-Valentin parce qu’il se trouve que oui, l’Homme et moi, on se dit qu’on s’aime toute l’année, que oui on se fait des cadeaux régulièrement et que, DU COUP, on ne voit pas au nom de quel masochisme qui n’implique même pas de cuir et de menottes on se forcerait à garder un œil sur le calendrier pour penser à se tasser dans des magasins ou des restaurants un des rares jours de l’année où l’on est à peu près certain qu’ils seront blindés de monde. Par contre, ça me touche un ovaire sans lui faire bouger une couille (c’est pas dur) qu’il s’agisse d’une nouba capitaliste et on s’en bat la race façon zénith de l’indifférence que ce soit une invention de Pétain, d’autant que ce n’est PAS une invention de Pétain, vérifiez les sources de vos indignations, ça fait toujours plus sérieux.
Je n’ai rien contre les traditions. Je marque le coup à Pâques parce que je trouve ça marrant de voir les gamins chercher des trucs dans le jardin, j’achète ma galette des Rois à trouzemille boules le micron de frangipane parce que miam, je célèbre les anniversaires histoire de me rappeler l’âge que j’ai, et je joue le jeu à Noël pour une raison absurde qui se résume sans doute pas mal en ces termes : « huhu, j’aime bien ». Je n’ai rien contre les traditions mais je ne me force pas à les embrasser. Ça ne fait pas de moi une punk, une hippie, une élitiste ou une misanthrope. Je fais simplement ce qui me plaît, en espérant que ça ne vous collera pas une ride du lion de le constater. Et j’essaie de le faire… oh, en l’espèce, même pas avec respect de moi-même, amour de la liberté ou autre concept de Bisounours gauchiste… non, juste avec un minimum de foutue logique. Et j’apprécierais d’avoir encore le droit de me battre la race d’un machin donné. Oui, il existe une troisième voie, entre le conformisme de moule et le militantisme moraliste, elle s’appelle l’indifférence aux sujets à la con, et vous n’avez qu’à dire que je milite pour si ça vous rassure. Mais en vrai, la seule raison pour laquelle je ne fais pas systématiquement les choses que tout le monde fait, c’est bien que j’fais s’que j’veux, quand j’veux. Et j’aimerais bien ne pas devoir ajouter : et j’vous emmmerde. Parce que ce serait bien plaisant que ça ne vous emmerde pas.
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L’article De l’activisme exigé (râlerie) est apparu en premier sur Isabelle Bauthian.