Magazine Journal intime

La canne d’huile, Papi et Cie

Publié le 13 juin 2018 par Barbu De Ville @barbudeville

Voici un souvenir de boisson mémorable qui frôle le folklore. Celui du baseball, de la bonne compagnie et de la nostalgie! Comme dirait Aznavour, je vais vous parler d’un temps que les moins de 20 ans ne connaissent pas, celui de nos amours les Expos!

Ce jour-là, moi et Rollie étions à bien servir nos clients au Farmers Supply de Lachute sur la rue Lafleur à deux pas du chic Palace. Moi, dans la section des chainsaws et lui à la peinture! J’avais 18 ans et lui 19 ans, nous étions de fidèles partisans des Expos. Roland de son vrai nom mais sur le terrain de balle quand il me « catchait », je l’ai rebaptisé Rollie! Et depuis ce jour jusqu’à aujourd’hui tout le monde à Lachute l’appelle Rollie! Même sa vieille mère a oublié son nom d’origine!

Le lendemain nous avions congé en même temps pour deux jours! Nous avions décidé d’aller back à back aux games de nos Expos et de coucher en ville, un lundi et un mardi, question d’honorer Rumba! Rollie est un gars de peu de mots et moi je parlais pour les deux et même parfois pour les trois même si on était juste deux! J’ai un mâche-patate de catégorie de ligue majeure! En termes clairs, je suis le Herman « Babe » Ruth de la parlotte! Blablabla…

Je me souviens pas du nom du motel qu’on a loué mais je me souviens de la vieille bonne femme et de la cloche sur son comptoir! Elle était d’une autre époque probablement oubliée par le burlesque. Une vieille attriquée comme ces danseuses à l’époque du charleston, à l’époque où Chicago était le terrain de jeux d’Al Capone! Elle fumait une cigarette avec un embout en plastique, j’imagine pour faire plus chic! On pouvait voir une bretelle de brassière sur son épaule. Une voix rauque, une voix de MarkTen et de petit cigare cheap! Elle était d’une laideur sans nom. Probablement qu’elle se levait la nuit pour avoir mal! Elle parlait avec une cigarette sur le bord de la bouche. J’avoue aujourd’hui que j’ai longtemps fait des cauchemars sur cette bonne femme! J’apprendrais qu’elle est la femme du bonhomme sept heures que je n’en serais pas surpris du tout!

Une fois la chambre de motel louée nous allions chercher le grand-père de Rollie, le plus grand partisan de baseball que j’ai jamais connu, l’historien de la balle, Papi Raymond!

Papi était d’une autre époque, il avait connu le stade Delorimier et les Royaux! Il avait vu Sandy Koufax lancer à Montréal et Jackie Robinson faire ses premiers pas parmi les joueurs blancs! C’est avec Papi Raymond que j’ai appris à marquer une game et manger un smoked meat avec plus de gras que de viande! Papi était seul au monde dans son 2 ½ dans le quartier Villeray! À chaque fois qu’on allait le chercher c’était comme une fête pour lui! Et je dois dire que d’être assis 9 manches avec le bonhomme Raymond c’est une expérience en soi. Nous arrivons de bonne heure, question de voir la pratique au bâton et de manger un délicieux smoked meat. Et de vous l’écrire, j’en ai l’eau à la bouche!!! Ce soir-là c’était le premier match de l’ancienne gloire des Red Sox de Boston, Dennis « Oil Can » Boyd avec nos Expos. Moi, Papi et Rollie étions fascinés et heureux d’assister au premier match de la canne d’huile à Montréal! Ce soir là, les Phillies de Philadelphie étaient en ville.

Trois cokes et smoked meat plus tard la game allait commencer! J’oubliais, un peu de moutarde de baseball sur mon beau t-shirt des Red Sox avec Boyd et le #23 dans le dos. Moi, Papi et Rollie avons gagné la game avec nos Expos 4-3! Une victoire créditée à la poire Joe Hesketh. Papi a marqué toute la game. Et si je vous disais que j’ai encore la carte en ma possession? Rollie avait bien sûr ses maudites culottes Guess sur le dos au cas où il serait sur l’écran géant en 7e manche. Il en faisait une fixation maladive!

À des fins historiques, Rollie n’a jamais été vu sur l’écran géant. Une chose est sûre, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Je vous jure sur la tête de mes deux enfants, si jamais nos amours les Expos reviennent en ville, le beau Rollie va encore porter ses Guess jeans! Ô Dieu de la balle, Ô grand inventeur du baseball Abner Doubleday, Ô Youppi et les autres, faites que si jamais les Expos reviennent en ville, ce pauvre sbire Rollie puisse être vu sur l’écran géant aux milliers de pixels! Je vous en conjure! Au nom du père Alou, et du fils Moïse. Amen.

Après la game nous avons été porter Papi chez eux. Il ronflait littéralement dans le char en arrière le vieux historien, avec l’écume à la bouche. Il ronflait de bonheur le vieux Raymond, au rythme des DeShields, Grissom, Martinez, Noboa, Galarraga et tous les autres! Rollie va border le vieux Raymond de 80 ans passés pis après vos deux sbires vont aller se fendre en deux au Bistro à Jojo à coup de boisson pis de blues!!!

En arrivant sur la rue St-Denis, il y avait un je-ne-sais-quoi dans l’air! Une fois après avoir mis le pied dans le bistro, j’ai toute compris! Sur le stage devant moi, il y avait un bluesman qui criait sa vie, sa douleur au rythme d’une guitare endiablée. Et soudain, dans sa ceinture d’harmonica, il a sorti un ruine-babine de type diatonique. Il le faisait littéralement pleurer au rythme de la salle glauque de la rue St-Denis! Il faisait soif dans place! Une fois son solo terminé, le bluesman au micro a dit: « Mon nom est Carl Tremblay! » Ce fut pour moi une révélation! Et puis pour m’achever comme il faut, il a chanté « The Dock of The Bay » d’Otis Redding. J’ai à ce jour jamais eu autant de frissons me parcourir le corps, de la pointe des orteils au bout de la pointe de mes cheveux! L’amitié, le blues, le baseball, la bière tout se mélangeait en un mix parfait!

Quand tout à coup, entre dans le bistro un chétif homme noir avec plein de gros bijoux dans le cou et une attitude du Mississippi! J’ai, au même moment, la mâchoire qui me décroche! J’ai avalé une gorgée de travers de ma 10e Black Label et recraché sur les pieds de Rollie!

  • Moi: « Tabarnak Rollie c’est « Oil Can » Boyd?
  • Rollie: « … »
  • Moi: « … »

Le silence était venu s’asseoir à coté de nous ainsi que « Oil Can » Boyd. J’étais pas gros dans mes culottes et Rollie non plus dans ses Guess jeans! Je regarde ce que la canne d’huile se commande et je demande au serveur de lui en donner un autre de la part d’un fan du #23! « Oil Can » se r’vire vers moi avec un beau grand sourire, celui du sud des États-Unis et moi je lui tourne le dos en lui montrant son nom dans mon dos et son numéro!

La magie avait opéré au Bistro à Jojo! Le fantôme de Doubleday avait encore faite sa job! Sur un compte complet en fin de 9e manche avec deux retraits et tirant de l’arrière par trois points, ce soir-là en terme de baseball j’allais frapper un Grand Chelem!!!

  • Rollie: « My name is Rollie and I am a catcher!

Moi et « Oil Can » on se met à rire comme si nous étions de vieux chums. Rollie boudait.

  • Moi: « Yep! He is a catcher in beer league… bad beer league!

Moi et « Oil Can » on continue de rire aux éclats!

Nous avons bu comme des Polonais. Nous avons refait le monde, le baseball, la vie pendant ce bout de soirée magique. Et vers 3 h 30 du matin au beau milieu de la rue St-Denis, nous avons sorti nos gants de baseball de nos sacs. J’ai passé mon gant à « Oil Can » Boyd et Rollie s’est penché comme il faisait à chaque mardi soir pour moi au Parc Richelieu. Il a donné une belle cible à la canne d’huile. « Oil Can » a lancé une balle qui a littéralement explosé sur l’épaule de Rollie qui en a été quitte pour un bon bleu. À la fin, nous avons embarqué « Oil Can » dans un taxi et payé sa course.

Le lendemain sur ma pagette, il y a un numéro que je connais pas. J’appelle au numéro et une voix à l’accent du Mississippi de me dire: « Trois billets dans la section du receveur t’attendent toi, Papi et Rollie pour ce soir… D’ailleurs la section du receveur s’appelle maintenant le salon Gary Carter.

J’me pince au sang. Je suis incrédule. « Oil Can » voulait nous remercier de notre gentillesse et pour la soirée. Nous sommes allés chercher Papi qui n’en revenait pas et en a parlé jusque dans son lit de mort, jusqu’à son dernier souffle!

Nous avons finalement gagné la game avec nos Expos 2-1 contre les Phillies!

J’avoue que j’ai surtout regardé Papi Raymond être dubitatif durant toute la game. C’est comme si c’était son Disney World! Il était ridiculement beau de voir le bonhomme Raymond qui était toujours presque seul dans son 2 ½ marquer sa game, les yeux dans l’eau! La bombe qui a fendu Hiroshima en deux aurait pu tomber à côté de lui qu’il s’en serait pas aperçu car il était à marquer la plus belle soirée de sa vie, retrait 5-3!!!

Rollie lui était occupé à boire toute la bière du bar! Le conte était plus que complet. Ce fut pour nous, ti-gars de Lachute et le vieux bonhomme de Villeray seul au monde ou presque, une partie parfaite au sens figuré!

Et quand on parle du retour de nos amours, j’ai un moton dans la gorge, j’ai un frisson qui transperce mon corps de la pointe des orteils au bout de la pointe de mes cheveux!

J’ai une pensée pour Papi Raymond, Rollie, Simon Chartrand, Justin Corbeil, Éric Roussel, Yves Deschamps et son fils Maxim et combien d’autres vrais fans de balle!!!

Moi, au soir de leur retour dans un vrai beau parc de balle, dans notre premier vrai parc de balle sans toit aux abords du canal Lachine dans Griffintown, j’aurai ma casquette des Expos sur la tête, celle que j’ai porté quand je suis entré au Hall of Fame à Cooperstown, avec un t-shirt des Expos et le numéro 8 dans le dos ainsi que mes jeans Guess… On sait jamais!

P.S Sur le dit t-shirt, il y aura encore un peu de moutarde de baseball.


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