Cette tache dans le coin, à l’angle des murs et du plafond,
vous savez bien laquelle, dans cette pièce de votre maison,
Depuis quand est-elle là ? Pensez-vous en la regardant.
Et elle, que pense-t-elle ? En vous observant.
Chapitre 2 : Ce que personne ne voyait
Stéphanie vécu la sonnerie de son réveil comme une délivrance. Cela faisait des semaines que l’insomnie l’avait gagné et elle en était venu à redouté profondément les moments où tous les autres êtres humains de son entourage se plongeaient dans cette phase de récupération qu’on appelle le sommeil. Elle passait ses nuits les yeux grands ouverts à essayer de ne pas penser à l’horreur qui l’obsédait. Elle était prise de sueurs froides et son réveil se moquait d’elle ouvertement en égrainant les minutes comme des heures. Elle allumait parfois la petite télévision de sa chambre dans l’espoir de sombrer face à une série allemande ou bien une télé-réalité sans intérêt.
La veille, elle avait fait en sorte de ne même pas passer dans son salon afin de ne pas croiser ce qu’elle ne voulait pas voir et ainsi ne pas être tenté de se faire prendre dans le piège de l’observation angoissée. Ce matin, elle voulait faire encore plus fort. Elle voulait au contraire passer dans son salon et faire exprès de ne pas la regarder. L’ignorer, c’était ça qu’il fallait faire. Si elle y arrivait ce matin, elle tenterait de nouveau l’expérience le soir, puis le jour suivant et ainsi de suite, jusqu’à finir par oublier le sujet de sa phobie.
Elle entra dans le salon et se força à s’intéresser à son ficus, elle chercha un peu d’intérêt dans cette plante qui n’en avait aucun. Puis à une photo d’elle en compagnie de deux de ses amies – à l’époque heureuse où elle avait encore des relations normales avec les gens. Il faut dire que son entourage avait commencé à prendre ces distances avec elle alors qu’elle avait commencé à leur faire part de la chose de son salon. Personne n’avait utilisé le mot « folle » – du moins, face à elle. Son attention passa enfin sur une petite poterie toute moche qu’elle avait un jour achetée sur un marché. Elle avait cru faire acte de bienveillance en achetant la chose laide, mais cela avait encourager l’idiot qu’il l’avait fabriqué à en faire plus et en inondé les boutiques locales. Elle ne savait même pas ce que la sculpture devait représenter. C’était juste laid. Elle sourit un moment en pensant à ce qui avait pu servir d’inspiration au vilain petit étron de terre cuite.
Alors que son esprit s’amusa de l’anecdote, un frisson, lui parcourut la nuque. De quel droit osait-elle s’alléger les pensées. Elle le sentit soudain. Ce qu’elle essayait d’ignorer était là, inutile de se leurrer du contraire. Elle ne voulait pas regarder. Elle voulait être forte et ne pas céder. Mais c’était impossible. Elle sentit sa tête commencer à pivoter sur ses épaules. Ses pupilles allaient chercher à l’extrémité de son angle de vision, à la commissure des paupières. Mais soudain, alors que la chose allait être en vue… Elle le remarqua. À travers la fenêtre, il était là. Un homme aux cheveux courts, bruns piqué de gris portant une veste de cuir tout usée. Le regard de Stéphanie s’arrêta sur lui. Non pas qu’il lui semblait étrange ou quoi que se soit, mais il donnait le sentiment de ne pas être à sa place dans le décor. Tout ce que Stéphanie aurait pu dire de Gyen à ce moment-là, c’est qu’il était apparu au moment où elle avait eu besoin de lui. Mais ça, elle ne le réalisait pas encore. Ce rôdeur à la fenêtre, lui avait complètement fait sortir de sa tête l’existence de l’horreur de son salon. Alors que celle-ci allait de nouveau s’immiscer dans son esprit, se produisit quelque chose d’inattendu. L’homme à la veste de cuir usé s’avança dans son allée et sonna à sa porte.
-
J’ai senti une odeur, lui dit-il, alors qu’elle ouvrait sa porte.
-
Une odeur ?
-
Oui, quelque chose de bordeaux. Tu vois de quoi je veux parler ?
Elle voulut lui répondre que non, elle ne voyait pas du tout de quoi il parlait et refermer sa porte, mais… à la réflexion… La chose de son salon avait, il est vrai, une odeur qui lui faisait pensé à quelque chose de violet.
Sentant qu’un « oui » allait sortir de la bouche de Stéphanie, Gyen s’invita dans sa maison. Il traversa le hall en reniflant. Bien sûr Stéphanie s’apprêtait à l’invectiver de sortir de chez elle.
- C’est par là. Je le sens. L’odeur est plus forte.
Alors qu’il se dirigeait clairement vers le salon, elle renonça. Il se dirigeait vers la chose et peut-être, s’autorisa-t-elle à penser, allait-elle trouver chez cet étrange personnage l’aide dont elle avait désespérément besoin.
- Beurk ! C’est bon, j’ai trouvé. Ça vient de cette pièce.
Gyen parcourut le salon, furetant dans les coins et baladant son œil curieux sur chaque détail. Le voyant tourner en rond dans son salon, une sueur froide caressa l’échine de Stéphanie. Mais voyons, c’était pourtant évident. La chose est là. Pourquoi est-il à perdre son temps sur mes bibelots alors qu’il vient de passer devant ? Serait-il comme les autres ? Ne verrait-il rien ? Peut-être que si personne d’autre que moi ne voit la chose, c’est tout simplement que la chose n’existe pas. Que je suis folle.
-
Ça ! L’interrompit Gyen dans sa spirale de pensées macabres. Oui, ça !
-
Oui, eh bien ?
-
Qu’est-ce que c’est que cette immonde petite statuette toute moche ?
-
Euh… Ah vrai dire, je ne sais pas trop.
-
Hum, c’est affreusement vilain. La personne qui a fait ça doit avoir un bien mauvais fond. Ça me rappelle une histoire sur l’inspiration et l’art dans la mythologie nordique. Ce qui aura influencer la main de « l’artiste » sortait clairement des fesses d’Odin.
Gyen jeta la statue par-dessus son épaule. Cette dernière n’eut même pas la décence de se briser en touchant le sol. Stéphanie était un peu abasourdie par les manières de l’homme. Elle réalisera bien plus tard que, sûrement, en cet instant Gyen avait senti la détresse mental qui la dévorait et avait fait en sorte de détourner son attention.
- Bon, et si nous passions aux choses sérieuses, dit-il en arborant un sourire des plus chaleureux. Depuis que nous sommes entrés ici, tu prends soin de ne pas regarder ce mur.
Gyen fit un bon en direction du mur en question et son attention se fixa particulièrement sur une tache sombre qui ressemblait à de la moisissure.
-
Plus particulièrement, cette chose. J’aurais envie de dire tache, mais ce n’est pas une tache. Et toi, qu’est-ce que tu aurais envie d’en dire ?
-
Je ne sais pas. Je… pense que c’est le mur qui moisit.
-
Et moi, je pense que ce n’est pas le mur. Je pense que le mur n’a rien du tout. Mais tu as raison, c’est spongieux, vivant et ça se propage. C’est un fragment de la réalité elle-même qui est en train de moisir ici.
-
Un fragment de la réalité ? La réalité ne peut pas moisir. Ça n’a aucun sens.
-
Non, c’est vrai. Et ça n’a pas besoin d’en avoir pour ce que nous allons faire.
-
Qu’est-ce que nous allons faire ?
-
Bah, t’en débarrasser évidemment.