Mon Amour je me réveille d’un sommeil de molécules qui a duré trop longtemps, quelques mois d’une imprudente « reculade » alors qu’une pharmacopée m’assurait du contraire… Cette douce et pernicieuse anesthésie rend ma « renaissance » plus douloureuse encore.
Mon Amour, je comprends à peine que ton absence est définitive. Qu’en sera t’il encore plus tard, quand je l’aurai vraiment conçu ?… Que vais-je faire de tout ce Temps sans Toi ? Je n’aperçois rien devant moi qu’un vide infini, une solitude que rien ni personne ne pourra jamais combler. Me réveiller de ce cauchemar, est- trop demander, quand je vois survivre partout autour de moi cette foule d’inconnus qui innocemment continuent leurs chemins, ignorant le miracle dont ils bénéficient ?…
Pourquoi Toi, pourquoi Nous ?… Je sais combien tout cela est vain, mais je refuse que tu ne sois plus qu’un souvenir pour ceux qui t’ont connu, si je n’ai pas le pouvoir de réécrire l’Histoire, c’est avec Toi envers et contre Tout que je veux vivre le reste de mes jours. J’ai cru illusoirement maquiller ton absence en trouvant une place différente au canapé, j’ai poussé de toutes mes forces les meubles, déplacé bibelots, livres et tableaux. Quelle sottise d’avoir pu croire que là ou ailleurs ta silhouette défunte y serait moins insupportable ?… Et d’ailleurs, était-ce réellement mon désir ou le choix d’une frénésie d’activités épuisantes pour ne plus réfléchir, pour n’être plus qu’un tourbillon où se seraient noyé mes émotions ?…
Je suis ce matin aussi éveillée qu’on puisse l’être, tu es partout et nulle part à la fois, je te cherche au creux d’une chèche que tu portais, j’enfile un pull que tu aimais, je dors enlacée contre ton oreiller, je ne peux me passer de Toi, ce serait bien trop exiger de moi ! Je t’aime au-delà de ce qu’on nomme la Mort, je t’aime en dépit d’Elle, et c’est ainsi, puisque je ne peux pour l’instant t’y rejoindre, que je veux faire comme si tu allais entrer dans la pièce, comme si rien d’autre n’était arrivé… Je ne peux imaginer autrement ma vie qu’avec Toi. Je te parle avec pour seule réponse cet affreux silence, mes rêves sont sans cesse emplis de tes départs, d’impossibles contacts, de numéros de téléphone infaisables… L’Enfer doit ressembler à cet échange devenu impossible. Où es-tu, es-tu seulement quelque part ?… Je ne peux me résoudre à cette insondable et définitive disparition, puisque sous mes doigts encore je sens le grain de ta peau, que je sens ta main prendre la mienne, et que ta voix me suis pas à pas. Je t’aime mon Ange, autant que sur cette pauvre Terre on puisse Aimer, ça n’aura pas de fin, et quand viendra mon tour, je serai sans crainte, puisque, enfin, cette douleur cessera…
Le temps bien souvent est sans puissance sur le chagrin. Ah ! les peines qui usent la vie sont presque toujours celles qui se cachent, et tel qui a résisté à leur violence, succombera à leur durée !
De Sophie Cottin – Amélie Mansfield (1802)