23h : J’y repense : hier, lors de mon vernissage, une amie, tombant devant mon dessin représentant Marilyn (voir ci-contre), m’a avoué qu’elle croyait dur comme fer, étant petite, que sa maman était une sorcière ; cette évocation d’une croyance infantile aurait pu rester lettre morte si une autre amie ne m’avait pas le même aveu quelques mois plus tôt ! Retrouver cette croyance dans les souvenirs d’enfance de deux jeunes femmes qui ne se connaissent ni d’Ève ni d’Adam ne manque pas d’être troublant : un psychanalyste de bazar invoquerait immédiatement Bettelheim et dirait que c’est là le signe de la dualité de l’image de la mère, dont les colères sont attribuées à une tierce personne fictive, une méchante sorcière qui prendrait l’apparence de la gentille maman mais ne serait pas elle, et gnagnagni et gnagnagna. J’avance une autre hypothèse : et si les petites filles qu’étaient jadis mes amies n’avaient pas tout bonnement espéré, même sans se l’avouer, que leurs mères fussent réellement des sorcières ? Si on donnait à une fillette la possibilité de choisir entre une mère à bigoudis qui fait la caissière au supermarché et une maman au look « rock’n’roll » qui dispose de pouvoirs magiques, que choisirait-elle, d’après vous ? Je suis sûr que mes amies rêvaient, consciemment ou inconsciemment, qu’un jour, leurs mamans viendraient les chercher à l’école en balai volant : c’est quand même plus excitant qu’en Renault 19, non ?
Dimanche 24 juin
17h : Fini de lire le dernier numéro des Cahiers de l’Iroise consacré aux îles bretonnes et auquel j’ai modestement contribué avec un article sur la première station maritime française de télégraphie sans fil qui fut implantée sur l’île d’Ouessant. Je suis marqué par l’article de Jérémi Kostiou sur l’enquête que Jean-Philippe Follet mena de 1983 à 1985 sur l’île de Batz, où je lis notamment ceci :
Jérémi Kostiou vu par votre serviteur. « Durant l’été 1984, une îlienne entend Jean-Philippe Follet parler en allemand avec une ressortissante allemande, résidante dans l’île depuis 1965. Elle conclut qu’il est un « espion pour les Allemands » et qu’en fait, il note ‘les gens gentils et les gens méchants pour les donner aux Allemands quand ils reviendront à l’île ». Dans les jours qui suivent, toute la partie Est de l’île est informée de cette trahison, mais l’îlienne ne convainc pas vraiment les autres îliens. Elle continue malgré tout à adresser des sourires un peu forcés à Jean-Philippe Follet, afin d’être inscrite « dans la colonne des gens gentils ». (…) Trente-huit ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale les doutes et les méfiances existent. »
Ce qui me choque dans cette anecdote, ce n’est pas tant que les habitants de l’île de Batz aient été durablement traumatisés par l’occupation allemande (ils avaient eu toutes les raisons de l’être) mais plutôt la veulerie de cette dame qui adopte déjà l’attitude du parfait collabo avant même que l’occupant n’arrive : elle joue les bonnes patriotes devant ses concitoyens mais s’écrase devant celui qu’elle perçoit comme un agent de l’ennemi. C’est avec une mentalité comme celle-là qu’on finit par livrer des Juifs à la Kommandantur ! Sept ans après, Renaud écrivait à l’attention de Gorbatchev : « Si tu veux des collabos, faut pas t’miner : tu sais, à part dans mon public, en chaque Français sommeille un flic, t’as qu’à piocher ! » Il était en-dessous de la vérité…