Malheureusement,
Ils étaient trop nombreux pour qu’on les y laissa là,
Mais pas assez pour une bonne omelette.
Chapitre 4 : L’œil du champignon
Il était tant pour Gyen de se montrer à la hauteur de ses annonces ambitieuses. Depuis qu’il était, il avait toujours pris un malin plaisir à faire des effets de style en lançant des phrases péremptoires pour tromper le sort. Il était intimement convaincu que son excès de confiance avait aidé à solutionner de soit la plupart des problèmes auxquels il avait été confronté. Au moins, il avait réussi à convaincre Stéphanie qu’il était la personne qui allait mettre fin à son problème fongique.
Gyen prit Stéphanie par la main et la guida jusque dans le salon, tout en lui disant : la nature du problème dont tu souffres se joue sur deux points. Le premier est de comprendre ce qui fait que tu es devenu un terrain viable pour permettre à ces créatures de se développer. Comme tout les dérivé des champignons, ils se nourrissent par absorption de ce qui se trouve dans leur milieu direct. Il y a donc quelque chose chez toi qui les satisfait. Le second est de savoir s’il s’agit d’une infiltration accidentelle ou d’une invasion volontaire.
-
Qu’est-ce que ça change ?
-
Généralement, mon niveau de politesse.
-
De politesse pas rapport à qui. Je ne comprends pas. Vous voulez être poli envers de la moisissure ?
-
C’est à peu près l’idée, oui. Je ne vais pas me perdre dans un acte d’agression directe. Je préfère la courtoisie du dialogue. Et si je peux me permettre une remarque, je suis sur le point de te faire pénétrer dans le royaume Silurien où aucun humain n’a jamais mis le pied volontairement. Je crois qu’il serait temps que tu te débarrasses de ce vouvoiement un peu pénible.
-
Je… Vous… Qu’est-ce que tu… Quoi ?!
Stéphanie ne comprit pas vraiment ce qui se passa soudain. Elle se sentie happée de toutes parts. Elle bougeait tout en étant immobile, comme si l’univers autour d’elle défilait de lui-même sous ses pieds. Ses sens ne comprenaient plus rien. Ses yeux ne lisaient aucune forme connue, ils n’étaient même pas certain de savoir s’ils regardaient quelque chose de sombre ou de lumineux. L’air s’épaissit. Un bourdonnement fort mélangeant un panel de sons étranges et encore inconnu vrombit à ses oreilles. Sa langue sentie enfin une vague acide et amère venant d’une odeur que son nez finit par identifier comme une fragrance de rouge bordeaux très forte. Elle n’était plus dans son salon. C’est tout ce dont elle était sûr. Ça et le fait qu’elle sentait la main de Gyen dans le creux de la sienne. Lui, il souriait. Il ne semblait en aucun cas incommodé par l’endroit où ils se retrouvaient.
-
C’est par là que nous allons, lui dit Gyen en pointant du doigt une sorte d’immense cité fongique aux proportions cyclopéennes.
-
Où est-ce qu’on est ?
-
Dans la réalité silurienne. De là où proviennent les champignons qui entrent par ton œil dans notre réalité.
-
Mais qu’est-ce qu’on fait là ?
-
On va causer.
-
Avec des champignons.
-
Bah oui, quoi d’autres.
-
Vous voulez… Euh, tu veux parler avec des champignons ? Les champignons parlent.
-
Si on se donne la peine d’écouter, il n’y a pas grand-chose qui ne parle pas. C’est juste que tu appartiens à une espèce égocentrique qui est convaincu que faire vibrer ses cordes vocales est la seule manière de communiquer. Mais l’univers à bien des voix.
Ils arrivèrent rapidement au pied de l’imposant édifice. Stéphanie prit conscience de l’aspect vivant de la structure alors qu’ils pénétraient son enceinte. Elle avait tenu la main de Gyen tout du long, tout naturellement. Un peu comme un enfant donne la main à un parent. Il émanait de Gyen un charisme autoritaire qui la poussait à lui faire confiance. Elle était certaine d’une chose, à son contact, elle oubliait d’avoir peur de cet étrange endroit.
Gyen s’arrêta. Ils se trouvaient maintenant face à une sorte de trône décharné duquel se formait un relief dont les contours incertains laissaient imaginer une silhouette irréelle. De cette dernière, de multiples orifices laissaient échapper une fumée malsaine dont Stéphanie aurait juré être de couleur bordeaux. Elle ne sut ni comment, ni pourquoi, mais elle comprit qu’ils étaient en présence du maître des lieux.
- Je préférerais que tu me laisses lui parler si ça ne te dérange pas.
Stéphanie ne sut pas quoi répondre. Comment pouvait-il imaginer qu’elle pourrait parler à sa place. Elle ne savait pas si le commentaire était fait pour l’offenser et la renvoyer à son inutilité ou pour faire un mot d’esprit. Gyen ne fit pas grand cas de ces interrogations et s’avança – seul – de quelques pas vers le trône. Des différents orifices, jaillit une salve de fumé bordeaux. Gyen cracha une suite de bouffées de fumé dont la teinte dérivait du bordeaux au carmin. La silhouette sur le trône répondit à cette politesse par une déclinaison du carmin au bordeaux en motif inverse. Le dialogue avait commencé. Ils émettaient à tour de rôle des signaux de fumé de différentes formes et teintes à des rythmes plus ou moins rapide. Stéphanie crût à un moment que les choses allaient mal tourner alors que la teinte déviait dangereusement vers le jaune – qui comme chacun sait, ne présage jamais rien de bon. Mais la couleur avait fini par revenir à des teintes plus cordiales pour enfin statuer sur un vermillon. Gyen et le roi fongueux semblaient être tombés d’accord.
-
Bien, déclara soudain Gyen en se tournant vers Stéphanie. Il dit que les siluriens ont quittés notre réalité il y a plusieurs millions d’années et ne compte en rien y revenir.
-
D’accord !? Ce qui veut dire que…
-
Ce n’est pas une invasion. Le langage qu’il parle n’est pas celui des mots. Il ne dissimule pas de malice ou de mensonges. On peut lui faire confiance. Et puis, il sait qui je suis.
À ces mots, une légère fumée verte s’échappa des pores de Gyen pendant un très bref instant. Tous les pores du roi fongueux s’occultèrent en sursaut, avant de se rouvrir lentement tandis que l’émanation cessait.
-
Il sait ce que je leur ferais en cas de débordement de leur royaume.
-
Mais alors, comment sont-ils arrivés dans mon mur ?
-
Ils ne sont pas arrivés dans ton mur. Tu les as mis dans ton mur. Eux, ils sont entrés dans ton œil.
-
Oui. Bref, comment on s’en débarrasse ?
-
Pas le choix, on va devoir les affamer.
-
Les affamer.
-
Bah, oui, comme je te l’ai dit. Ils se nourrissent du milieu dans lequel ils prolifèrent. Il y a quelque chose chez toi qui leur fournit le nutriment nécessaire à leur survie. Tu comprends, les petits débordements d’une réalité à l’autre sont fréquents. Mais comme en règle générale, il n’y a pas ce dont l’espèce à besoin pour se nourrir, ils meurent sur le pas de la porte. Mais pas dans ton cas.
Le roi fongueux émit une salve de fumé de différentes formes et teintes qu’il ponctuait à chaque fois d’un retour au bordeaux.
-
Il te demande ce qui a changer chez toi pour nourrir ainsi son peuple. Il pense que c’est un sentiment. Il pense qu’une personne ou un objet de ton quotidien en est à l’origine.
-
Je… Je ne sais pas quoi répondre… Je…
-
C’est parce que tu veux puiser dans le langage des mots. Oublie le un instant. Ferme les yeux et oublie les mots.
Stéphanie s’exécuta. Ses yeux se fermèrent lentement. Elle se replia en elle-même. Comme dans un ascenseur, elle se sentait descendre au plus profond de sa conscience. Soudain, elle exhala de ses narines une faible vapeur – comme un murmure – de couleur amarante. « Amarante ! » S’inquiéta aussitôt le roi fongueux.
-
Mais oui, bien sûr, s’écria Gyen. Ce n’était pas bordeaux du tout. Amarante. Je suis passé à côté. On peut rentrer maintenant.
Gyen remercia de vermillon le roi fongueux, qui par politesse le gratifia d’une fumée passe-velours. Il prit Stéphanie par la main et l’entraîna hors de la réalité silurienne – de retour dans son salon.
Parfait ! Parfait ! S’écria Gyen est furetant dans le salon. Il savait maintenant ce qu’il cherchait. On fond de lui, il s’en voulait un peu d’avoir confondu le bordeaux et l’amarante. Il est vrai que la similarité des teintes pouvait prêter à confusion. Mais maintenant qu’il avait la solution exacte, il savait l’épilogue proche. Lorsque ses yeux s’arrêtèrent sur l’objet, il le reconnut. Comment avait-il pu passer à côté avant. Il l’avait tenu lui-même entre ses doigts. Il attrapa la petite chose responsable de tous ces maux et le présenta à Stéphanie.
-
Le voilà, dit-il, voilà le coupable.
-
Ça ?!
-
Oui ça, dit Gyen en agitant l’immonde petite poterie dans sa main. C’est cette petite immondice qui provoque chez toi le sentiment dont se nourrissent les champignons. C’est vilaine forme sculpté qui provoque un sentiment de détresse malsaine et d’insécurité molle. Cette chose pue l’amarante à plein nez.
Il avait dans la main la petite sculpture moche que Stéphanie avait achetée à un artiste sur un marché. Maintenant qu’elle avait visité le royaume fongique elle voyait des similitudes évidentes. Elle le regardait d’un œil neuf. Pour elle, ce n’était plus le petit étron informe qui avait attiré une pathétique sympathie, mais bien une sorte de totem à l’effigie des créatures siluriennes.
-
Mais qu’est-ce qu’on doit faire ?
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C’est simple !
Gyen leva le bras bien haut et projeta la poterie contre le sol. Une petite fumée – dont chacun en aura reconnu la couleur – s’en échappa. Stéphanie resta l’air béate un bon instant avant de demander : et maintenant ?
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Maintenant ? Maintenant, je pense qu’il faut mettre ce truc dans la plus proche poubelle et direction l’incinérateur.
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Et c’est tout ? C’est finit ?
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Oui.
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Mais la tâche est encore sur mon mur.
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Oui, c’est vrai. Et dans ton œil aussi. Mais le sentiment qu’elle provoquait chez toi et dont elles se nourrissaient n’est plus. Elles vont donc mourir de faim et disparaître. D’ici une semaine, tout devrait avoir disparu. Et je doute que tu en gardes le moindre souvenir au final.
Gyen fit quelques pas en direction de la porte d’entrée.
- C’est vraiment de cette sculpture dont venait le problème ?
- Oui, d’une certaine manière.
- Qu’est-ce que tu vas faire alors ?
Gyen prit une pose pour signifier un instant de réflexion, puis décréta :comme toujours, deux possibilités. Soit c’est un accident et je détruis les sculptures soit ça ne l’est pas, et je dois aussi m’occuper du sculpteur. L’art et l’inspiration sont des choses puissantes et les royaumes dont elles proviennent peuvent rejoindre le nôtre parfois. Mais jamais ils ne doivent se parasiter les uns les autres.
À ses mots, Gyen ouvrit la porte et en franchit le seuil. Stéphanie voulut l’interpeller, mais elle s’en garda. Elle regarda l’homme s’éloigner dans sa rue jusqu’à disparaître. De son côté, son esprit était soudain plus léger. Elle sentait le parfum de l’air dans ces poumons et les embruns de la mer. Plus d’odeur étrange ou de sentiment malfaisant. Elle se sentait libérée.
Fin