Il n'est pas nécessaire de connaître tous les écrivains de la Table des matières (qui a lu Hélisenne de Crenne ?) pour apprécier les neuvains qui leur sont consacrés. Ce sont rarement des portraits ou des évocations, et jamais des pastiches (sinon - mais comment résister à la tentation ? - pour Charles Reznikoff, évoqué par un extrait de l'ordonnance de Villers-Cotterêts). Le lien aux auteurs est plus subtil et plus distendu : une citation de quelques mots, parfois non signalée ; une allusion à leur œuvre, ou à leur style (ainsi, sur François Cariès : " Par le chant royal, la grande chanson, le sonnet de cour, le pastiche sioux, le sermon de noce, l'oraison rance, etc. "), ou une simple image, voire un sentiment vague (sur Jean-Claude Pirotte : " Une pluie d'une exquise désuétude... "). On reconnaît souvent le noyau initial du poème à sa justesse. L'auteur, du reste, s'en émancipe ordinairement assez vite pour en venir à ce qui fait le fond de son projet.
Ces prosains, en effet, parlent le plus souvent d'autre chose que du dédicataire : ils explorent les multiples formes d'existence de ce qu'on nomme poésie. Rien ici de didactique, c'est une pensée en acte, un corps à corps avec la langue, dans le but (si but il y a) de la pousser à bout, de lui faire rendre gorge. Ce qui n'empêche pas Jean-Pascal Dubost de nous faire passer en douce quelques petites leçons ; ainsi de cet aphorisme : " la poésie est là où n'est pas la poésie " ; ou bien, à propos d'Hugo enlégendant le monde, cette adresse à " la moqueuse french poetry de la modernité à bras raccourcix " : " faites en autant ", qui me réjouit. Au total, ce recueil, plus encore que le premier, constitue une manière d'art poétique - ce qu'est la poésie, ce qu'elle peut et ne peut pas -, délivré par bribes, au milieu d'un flot joyeux et incohérent.
Il est des recueils dont rendre compte est une pénitence car, malgré leur originalité, leur intérêt ou leur beauté, ils échappent à la saisie critique. Celui-ci, c'est plutôt le contraire. Il faut se réfréner, tant la matière vous sollicite. Sainte-Beuve définissait ainsi l'écriture de Jean-Baptiste Rousseau : baroque, métaphysique, sophistiquée, sèche, inextricable... Cela va comme un gant à Jean-Pascal Dubost, sous réserve d'ajouter : bouffonne, forcenée, profuse, biscornue, espiègle, éperdue, excentrique...
Gérard Cartier
D.R. Gérard Cartier
pourTerres de femmes