À L'OMBRE DU MURIER T ranslucide et mouvante grotte de jade,
le mûrier-platane aux feuilles ciselées
t'offre l'abri amphibole
de ses ombres tremblantes
d'où jaillit l'éclat sourd des mûres
couleur d'encre
de Chine
Assise dans son ombre
tu les guettes
Elles brillent puis disparaissent selon
le rayon qui les frappe sous le frisson des feuilles
et leur soie sombre
au fiévreux vent d'été
Noires et longues comme
des scarabées -
naguère, l'un s'envola,
ombre sur ombre, entre les doigts
surpris -
et poisseuses et sucrées,
elles tachent les doigts
et les coins de la bouche
d'une encre parfumée
Encore une, puis une -
sur la pointe des pieds
tu moissonnes des doigts un infini stellaire
sous la voûte nocturne du mûrier-platane
bruissant de guêpes blondes
tournant autour du tronc comme un mât de navire,
l'axe d'un monde qui t'englobe
t'emporte
dans un voyage à rebours
un voyage en soie
un retour au fond
de soi
Le mûrier est ancre
de Chine
et le poète-cueilleur d'ombre
cueillant les mûres
couleur d'escarbot -
plonge
aux antipodes de ce monde où les mots
sont univoques
saisit l'escarboucle
flottant dans les grands fonds où le rêve
le porte
Là
dans la Chine du mûrier aux infinies ramures
les mots
- comme des granules
du fruit entre tes doigts
s'agglomèrent
morula -
l'embryogenèse du poème
dans l'hyperlien
fondant
encre
et sucre
noire
æncre
de
Chine.
Marilyne Bertoncini, " Le tombeau des Danaïdes " in
L'Anneau de Chillida, L'Atelier du Grand Tétras, 2018, pp. 36-37-38-39. Illustration de couverture de Sophie Brassart.