Marilyne Bertoncini | À l’ombre du mûrier

Publié le 20 août 2018 par Angèle Paoli

À L'OMBRE DU MURIER T ranslucide et mouvante grotte de jade,
le mûrier-platane aux feuilles ciselées
t'offre l'abri amphibole
de ses ombres tremblantes

d'où jaillit l'éclat sourd des mûres

couleur d'encre

de Chine


Assise dans son ombre

tu les guettes
Elles brillent puis disparaissent selon
le rayon qui les frappe sous le frisson des feuilles
et leur soie sombre

au fiévreux vent d'été


Noires et longues comme
des scarabées -

naguère, l'un s'envola,

ombre sur ombre, entre les doigts

surpris -
et poisseuses et sucrées,
elles tachent les doigts
et les coins de la bouche
d'une encre parfumée

Encore une, puis une -
sur la pointe des pieds
tu moissonnes des doigts un infini stellaire
sous la voûte nocturne du mûrier-platane
bruissant de guêpes blondes
tournant autour du tronc comme un mât de navire,

l'axe d'un monde qui t'englobe

t'emporte

dans un voyage à rebours

un voyage en soie

un retour au fond

de soi


Le mûrier est ancre

de Chine
et le poète-cueilleur d'ombre

cueillant les mûres

couleur d'escarbot -
plonge
aux antipodes de ce monde où les mots
sont univoques
saisit l'escarboucle
flottant dans les grands fonds où le rêve
le porte



dans la Chine du mûrier aux infinies ramures
les mots
- comme des granules
du fruit entre tes doigts
s'agglomèrent

morula -

l'embryogenèse du poème

dans l'hyperlien

fondant

encre

et sucre
noire

æncre

de

Chine.

Marilyne Bertoncini, " Le tombeau des Danaïdes " in
L'Anneau de Chillida, L'Atelier du Grand Tétras, 2018, pp. 36-37-38-39. Illustration de couverture de Sophie Brassart.