Tu as enregistré le fichier de ton roman sur une clé USB. Prêt à être imprimé quatre fois.
Quatre fois pour quatre éditeurs qui demandent la version papier.
Prêt à être envoyé chez deux éditeurs qui acceptent le fichier numérique.
Tu déjeunes et tu lis Thelma, Louise & moi de Martine Delvaux. Tu viens tout juste de le recevoir via Biblio Outaouais.
Après trois pages, tu as envie de reprendre ton roman d’y ajouter quelques lignes.
Comme avant-hier en lisant Villes de papier de Dominique Fortier.
Certaines lectures te font ça : avoir envie d’écrire. Pas écrire comme les auteur-es. Pas copier, non. C’est que leurs romans te donnent des idées, te rappellent des émotions, te remuent le cœur et le cerveau.
Tu penses que ton roman est fini, mais comme Cézanne qui reprenait ses tableaux, tu réécrirais certaines phrases. Est-ce un acte manqué : tant qu’il n’est pas chez l’éditeur, tant qu’il n’est pas imprimé, tant qu’il n'est pas refusé, tu peux encore le reprendre, le réécrire?
Ça fait cent fois que tu le dis : tu ne devrais pas lire pendant que tu écris!
Oui, mais là, je croyais avoir fini.
Oui, mais là, c’est la rentrée, il y a de tellement bons romans intéressants.
Tu aimes lire des livres qui parlent des auteurs, des écrivains. Comme Le dernier chalet, comme Villes de papier, comme Thelma, Louise & moi.
Ils parlent d'eux, mais tu te reconnais.
Leurs phrases appellent tes phrases.
Leurs mots soufflent sur les tiens.
Leur vie ressemble à la tienne.
Tu écris ta lettre aux éditeurs. C’est plus difficile d’écrire deux pages aux éditeurs que trente pages de roman. La lettre qu’ils liront en premier. Ils ne liront peut-être rien d’autre. Tu voudrais être originale, qu’ils mettent ton manuscrit sur le haut de la pile, qu’ils t'appellent après la lecture des trente premières pages. Ou les vingt dernières que tu juges meilleures. Tu rêves en couleurs! Tu as envie de relire ces trente premières pages pour voir si elles ne peuvent pas être meilleures encore.
Tu en relis cinq. Tu changes quelques mots.
Visiblement, tu procrastines, tu retardes le moment de l’envoi. Tu as peur de faire le saut?
Tu te sais impulsive, tu essaies de te calmer, prendre le temps qu’il faut pour bien faire les choses. T’assurer que ta lettre est la meilleure que tu puisses écrire.
C’est qu’il vient un moment où tu es seule à prendre la décision. Tu n’as plus ton père ou ta mère ou un professeur ou un mentor ou un agent ou une directrice littéraire ou un-e ami-e pour t’encourager, pour te donner une petite tape dans l’épaule. Te dire, « ça va aller ». Au pire, tu auras un refus. Mais si tu ne l’envoies pas, tu n’auras rien.
Allez, saute.
Allez, clique sur « envoyer ».