Dans les années 80, J. L. de La Bermondie, le répète : « Tout semblait possible, sauf l’exécution du Roi, sauf cette révolution-là !»
Les '' Lumières'' qui enchantaient les intellectuels, les lettrés, espéraient et soutenaient une monarchie qui s'adapterait aux transformations économique, politique et sociales inévitables... D'ailleurs cela se vérifiait dans les états des Habsbourg, et surtout en Angleterre où le roi n'exerce pas par la grâce de Dieu, mais par le libre consentement de ses sujets par le biais du parlement …
Je ne sais rien de ces années d'émigration concernant J. L. de la Bermondie ; mais j'imagine qu'elles sont proches de celles qu'ont vécu des personnages qui à cette même époque se sont croisés avec les même intérêts. A la croisée de ces chemins, il y a Madame de Staël (1766-1817), et en lieu et place de J. L. de la Bermondie : je vois Charles de Villers ( 1765-1815), François de Pange (1764-1796), Benjamin Constant (1767-1830), des personnages du ''groupe de Coppet'' comme Auguste Schlegel, (1767-1845), Mathieu Jean Félicité, duc de Montmorency-Laval,(1766 -1826), Prosper de Barante (1782-1866), et aussi Juliette Récamier...
Charles de Villers (1765-1815) a consacré sa vie à faire connaître en France les richesses de la pensée et de la culture allemandes. Il fut dans ce domaine un précurseur de Madame de Staël.
Officier d'artillerie, Villers s’intéresse au ''magnétisme animal'' d'où, sa foi en la ''force vitale '' et dans la vertu thérapeutique de la nature..
Le marquis de Puységur, major du régiment et mentor de Villers ; est l'élève de Franz-Anton Mesmer. Villers est admis dans la Société de l'Harmonie... Il compose même un Manuel du magnétiseur qu'on s'arrache et qui attire à son auteur éloges et critiques. Le magnétisme prend pour lui un attrait supplémentaire lorsqu'il fait la connaissance (1783) d'un de ses partisans les plus célèbres, le comte de Cagliostro qui préside alors la loge maçonnique de Strasbourg, et de sa jeune et charmante compagne, Lorenza Feliciani, qui devient la maîtresse du jeune officier jusqu'au départ de celui-ci pour Besançon. Dès lors, dit-on, Villers partage ses loisirs entre le mesmérisme et l'amour...
Dorothea SchlözerEn 1792, il émigre, et s'établit en Allemagne où il restera jusqu'à sa mort.
En 1796 il est inscrit comme étudiant à l'université de Göttingen où il est en contact avec les professeurs les plus illustres. Il y fait la connaissance de Dorothea Schlözer, fille de l'historien August Ludwig Schlözer, première femme docteur en philosophie de cette université et épouse d'un riche marchand lübeckois Matthäus von Rodde, plus âgé.
C'est dans la maison du couple à Lübeck qu'il séjourne ensuite de 1797 à 1811, formant un ''ménage à trois'' .Villers publie en 1801 son grand ouvrage Philosophie de Kant qui suscite des critiques diverses en France et est sollicité par Napoléon pour un exposé sur cette philosophie... Suit un ouvrage consacré à Luther.
En 1803, il se rend, avec Dorothea, à Paris pour y recevoir un prix. Puis, il rencontre Mme de Staël. Exilée par le Premier Consul, elle est en route pour l’Allemagne, où elle doit rencontrer tout ce qui compte de poètes et de savants. Ils passent douze jours ensemble, partageant la même fièvre et le même enthousiasme. En bien des points le “De l’Allemagne” de G. de Staël, paru dix ans plus tard, porte la marque de la pensée de Villers.
Villers fait donc découvrir la philosophie de Kant à Mme de Staël, qu'elle approfondit par la suite grâce à A. Schlegel, mais aussi grâce au jeune anglais Henry Crabb Robinson, qu'elle reçoit à Coppet ( Janv. 1804). Ce dernier présente en effet à Mme de Staël et Benjamin Constant l’esthétique kantienne, en se concentrant sur trois thèmes fondamentaux : l’autonomie de l’art, le problème de l’évaluation critique des objets esthétiques et de l’universalité du jugement de goût et, enfin, la question du sublime. Cela alimentera dans De l’Allemagne, plusieurs chapitres consacrés à la philosophie de Kant et son impact sur la littérature et les arts .
Emmanuel Kant et ses invitésKant (1724-1804)... La philosophie va nourrir la réflexion sur l'art.
En effet, la philosophie de Kant ouvre une brèche au discours romantique sur l’art … En Allemagne, certains se disent que tout miser sur la Raison ( avec ''les Lumières''), est trop austère : si on laissait faire l’imagination ; le sentiment … ? Un vraie question philosophique.. !
Kant avance que '' la chose en soi '' dont le monde est au-delà de toute connaissance sensible. est à distinguer du '' phénomène '' : '' la chose pour moi''.Si la « chose-en-soi » est inatteignable, le « moi » ne serait-il pas plus excitant.. ? L'art n'est-il pas aussi moyen de connaissance ? Et pourquoi pas une expérience subjective de « la chose-en-soi ».. ?
Les romantiques, défendent que l’imagination est une dimension spontanée et dynamique de la raison...
L’imagination humaine apparaît comme un pouvoir constitutif de la connaissance. Kant note dans la première Critique, que l’imagination est « un art caché dans les profondeurs de l’esprit humain ».
Ary Scheffer - Faust dans son cabinet, MéphistoJusqu'à présent, l'artiste était censé travailler ( et non créer) en l'honneur de Dieu et d'après des règles souvent assez strictes. Comme le disait Saint-Augustin, « creatura non potest creare » : la créature (l’homme) ne peut pas créer, l’homme peut seulement imiter ce que le créateur a crée, il est voué à se rapporter à un modèle extérieur.
Kant, lui, dit que l'imagination est un levier extraordinaire qui trouve sa source – non pas dans un modèle extérieur – mais dans l’esprit humain, dans la racine cachée de l’esprit humain.
Du coup, pour les romantiques précisément, l’artiste devient une sorte de démiurge, quasi-divin, qui peut créer grâce à son imagination. Il se met souvent en rivalité au sein du romantisme avec Dieu. C’est la thèse faustienne de la création.
Caspar David Friedrich, 'Man and Woman Contemplating the Moon', 1824On parlera aussi d'une esthétique du sublime, dont on peut trouver la source chez Kant, dans la Critique de la faculté de juger ; voici en effet comment Kant définit le sublime par opposition au beau : « Le beau de la nature concerne la forme de l’objet, qui consiste dans la limitation ; en revanche, le sublime pourra être trouvé aussi en un objet informe, pour autant que l’illimité sera représenté en lui ou grâce à lui et que néanmoins s’y ajoutera par la pensée la notion de sa totalité ; ainsi le beau semble convenir à la présentation d’un concept indéterminé de l’entendement, et le sublime à celle d’un concept indéterminé de la raison » ( Kant : Critique de la faculté de juger ). Le sublime est ainsi lié aux notions d’illimité, d’infini, voire d’informe, alors que le beau est marqué par la limitation. ( le Rococo et le néo-classicisme sont à ranger dans le ''Beau'')...
Conversation de J. Sablet (1749-1803)Pour Kant le sublime artistique n’est pas grec, mais il peut être égyptien ( les pyramides) ou chrétien...
Kant va se situer dans une position délicate, car il reconnaît à l'imagination, source des Idées esthétiques, la capacité d’usurper la place de l'entendement dans un processus qui ne relève pas à proprement parler d'un processus de connaissance, mais qui permet d'entrevoir – sous une forme sensible – une réponse aux questions fondamentales qui se posent à l'homme... Hegel remettra de l'ordre … !
Le ''Romantisme'' voit dans ce qui paraît ''obscur'' une expérience de ce qui est caché... Il met en avant la nuit, les légendes, le Moyen-âge, le rêve …
SchellingL'esprit du monde se reconnaît dans la nature... Et d'ailleurs, y a t-il vraiment une distinction à faire entre esprit et matière ? Schelling voit en la nature : l'esprit du monde ; et il voit aussi cet esprit à l’œuvre dans la conscience de l'homme...
Friedrich Wilhelm Josef Schelling (1775-1854), a cinq ans de moins que Hölderlin ou Hegel ( trois camarades d'études au séminaire de Tübingen (Stift), tous trois destinés à devenir pasteur...) Cependant, Schelling semble par sa précocité les avoir dépassé... En 1794, il entend parler de Fichte (1762-1814) et le rencontre. Schelling se convertit alors à la philosophie.
à Iena...Pour se faire une idée du climat intellectuel dans ces années, il faut se rendre à Iéna, qui vit sous sous le règne éclairé de Charles-Auguste (de 1775 à 1828) et de son ministre Goethe (1749-1832). La ville reçoit les Lumières de l'École de Weimar, ce qui suscite la renaissance de l'université. Goethe y consacre tout son zèle, pédagogique et administratif. C’est là qu'en 1794 il se lie d'amitié avec Friedrich Schiller, qui depuis 1789 était professeur et vit jusqu'en 1799 à Iéna.
L'université va recruter une pléiade de talents, avec notamment Johann Gottlieb Fichte (1794), Schelling (1798), Hegel (1801-07), faisant de la ville le centre de l'idéalisme allemand, mais aussi du premier mouvement romantique, avec August Wilhelm Schlegel, sa femme Caroline, Friedrich Schlegel, Ludwig Tieck, Clemens Brentano et Novalis.