L'émigration – Charles de Villers, Dorothea Schlözer et Germaine de Staël

Publié le 27 septembre 2018 par Perceval

Avant de revenir à Madame de Staël et Villers, il faut parler de Dorothea von Rodde-Schlözer (1770-1825), elle est une des personnalités féminines allemandes étonnantes de cette époque. Fille d’August Ludwig Schlözer, professeur d’histoire et de politique à l’université de Göttingen, elle est la première femme allemande à être élevée au titre de docteur en Philosophie obtenu à l’âge de dix-sept ans en passant brillamment des épreuves aussi diverses que les mathématiques, le latin et l’architecture. Cette spécificité la rend célèbre dans l’Europe des Lumières... A quatre ans, elle lit. À l'âge de cinq ans, elle étudiait la géométrie. À 16 ans, elle maîtrisait dix langues..

Buste de Dorothea von Rodde-Schlözer, par Jean-Antoine Houdon, Paris, 1806

Elle se marie en 1792 avec Mattheus Rode, un marchand et sénateur beaucoup plus âgé qu’elle, mais après sa rencontre en 1794, elle entretient une relation amoureuse, et peu conventionnelle avec Charles Villers (1765-1815).

En 1801, Dorothea Schlözer se rend à Paris dans le cadre d'une mission diplomatique de son mari. Villers et ses enfants l'accompagnent. A Paris , ils cherchent à rencontrer des savants : elle fait la connaissance du naturaliste Lacépède , du géologue Dolomieu et du philologue Fauriel . Elle visite des galeries, rencontre Jacques-Louis David et Jean-Baptiste Isabey. Anicet Charles Gabriel Lemonnier fait son portrait et Jean-Antoine Houdon crée un buste d'elle.

Quelques années plus tard, son mari est ruiné (1810) et Villers et deux de ses enfants meurent... Affligée et affaiblie par une santé fragile, elle décide de s’installer dans le sud de la France et meurt à Avignon en 1825.

Revenons à Charles de Villers, et sa rencontre avec Madame de Staël :

« On trouve toujours M. de Villers à la tête de toutes les opinions nobles et généreuses; et il me semble appelé, par la grâce de son esprit et la profondeur de ses études, à représenter la France en Allemagne, et l’Allemagne en France. » Madame de Staël, De l’Allemagne

Madame de Staël écrit on 1800 dans De la Littérature (Première Partie, chap. 11 )  « Ce que l'homme a fait de plus grand, il le doit au sentiment ..."

Une active correspondance s'était engagée entre Villers et Mme de Staël : « Villers m'écrit des lettres où l'amour de Kant et de moi se manifestent » écrit-elle le 23 Octobre 1802 à Camille Jordan.

En Octobre 1803, elle fait la connaissance de Charles de Villers à Metz, alors qu'il se rend à Paris.

Charles_de_Villers (1765-1815)

C'est alors l'occasion d'un marivaudage entre Villers et Mme de Staël, qui insiste pour qu'il l'accompagne en Allemagne... Mme de Rodde, l'égérie de Villers, s'en inquiète fortement... Au départ de Germaine, Villers, ensuite, se cache pour lui écrire...

« Deux journées se sont écoulées lentement, après d'autres si rapides, deux journées pleine de mélancolie, d'amertume, de rêveries, de regrets. Je restai avant-hier comme inanimé à la place d'où je vis disparaître la voiture qui vous emportait... Ils (ces jours) laisseront en moi à jamais le sentiment profond d'un bonheur plus qu'humain, une estime de moi-même que je n'ai due qu'à vous, le souvenir ravissant d'avoir été élevé par vous au premier rang entre les hommes, la certitude de ne pas mourir sans avoir connu toute la lassitude de l'existence et l'ivresse et l’énergie dont un être est susceptible. » ( cahiers staëliens N°7 mai 1968)

La conception idéalisée de l’érotique allemande présentée par Villers dans son essai de 1806, sur la manière essentiellement différente dont les poètes français et les allemands traitent l’amour, qu’il oppose à la tradition du roman galant français dans le but de donner une nouvelle orientation à la littérature française, prend sa source dans la haute estime qu’il a pour la philosophie et la religion allemandes, exprimée dès son Essai sur l’esprit et l’influence de la Réformation de Luther de 1804.

Villers interprète les violences de la Révolution française comme la conséquence d’un très ancien matérialisme mettant l’accent sur le plaisir et sur le corps, en contraste avec la culture allemande centrée sur l’âme et la vertu.