Claudine Bohi, Naître c’est longtemps par Philippe Leuckx

Publié le 07 octobre 2018 par Angèle Paoli

Claudine Bohi, Naître c'est longtemps,
éditions la tête à l'envers, 58330 Crux-la-Ville, 2018.
Avec six eaux-fortes, aquatintes et huiles sur bois de Mitsuo Shiraishi.

Lecture de Philippe Leuckx

" POUR RESPIRER ENCORE "

C e vingt et unième livre de poésie, composé de cinq sections, dont les titres évoquent bien l'ampleur thématique (entre " Naître c'est longtemps ", " Le Jour ", " Corps levé ", " Vertige conséquence " et " Le vent demeure "), assied tout à la fois " une douleur ", " un futur/ très antérieur " comme si, tissée de contrastes, la vie était à l'aune de cet " œil (qui) se ferme " " lampe dans la nuit " ou tout simplement " jour " et " clarté ".

La poète verse toute cette réflexion en petites strophes, en petits distiques qui puissent allaiter sinon haleter cette vie :

" maintenant la chair

glisse sur rien

longuement tu te tais

il y a la plaie le sang

vivre couteau

c'est sans parole

il y a les multiples du visage

les multiples disait-on

peut-être s'agit-il simplement

de crier le bleu dans le rouge

puisque le vent s'est levé

de n'avoir plus froid "

Dans la réitération blanche, bleue, rouge du réel et la conviction que tout peut sourdre et recommencer, c'est tout à la fois l'origine et la forme que symboliquement la poésie prend pour donner sens, et offrir au partage cette zone contrastée d'ombre, de lumière, de vie, de blessure et de vent.

" [P]our respirer encore " est bien le sceau de ces mots indispensables, une respiration essentielle dans un monde de cahots, d'oubli, qu'il faut conjurer pour que naisse la langue. Et que reste-t-il de plus vrai à la poète que cette lumineuse renaissance grâce à " la fête qui s'oublie / sa trace solennelle / retourne l'horizon " niée soudain par le " parler ", par cela " ce qui n'est pas dit/ demeure dans la parole " ?

Une ascèse prodigieuse contrevient à la perte : le vif est là, à saisir ; la vie, à nourrir de mots et d'urgence.

L'écriture, par petites saccades, en échelons de sens, a besoin de ces marches, de ces marges de sens pour éclairer les pas du promeneur-lecteur, pour éblouir, dans le noir, les traces d'une poète-chercheuse qui, au cœur du " labyrinthe pâle ", a réussi à nommer " cette mort très familière " que chacun(e) ressent au plus serré de son corps.

Claudine Bohi, dans une poésie très intimiste, ouvre grandes les portes d'un champ de réflexion sur ce peu, sur cette échancrure entre beauté et souffrance, entre dire et silence, prélevant les échardes pour mieux nous guérir. Avec plein " de jour dans la bouche ".

Philippe Leuckx
D.R. Philippe Leuckx
pourTerres de femmes