Affalé au milieu d’un sentier, le poil tout mouillé d’une pluie nocturne aussi violente que la vue de son œil gauche arraché, il gisait là, abandonné puisque borgne il n’attendrissait plus le gamin qui l’avait gagné contre quelque ticket à la fête foraine d’à côté.
De loin, je n’avais d’abord aperçu qu’une masse curieuse que j’avais hésité à nommer, puis m’approchant, je m’étais demandé pourquoi une si belle peluche avait été laissée livrée au vent et au déluge…
Ingratitude des enfants qui supplient pour obtenir deux sous et tenter leur chance à la loterie, qui repartent joyeux l’animal convoité dans les bras, lui offrant une place de choix au retour chez eux, puis bientôt, peu soigneux, l’oublient ou le relèguent aux oubliettes de jouets trop nombreux.
Cette bestiole pourtant, avec son air de Cyclope, semblait plus vraie que nature, et je n’étais pas loin de l’emporter chez moi pour lui refaire une beauté et combler le trou béant d’un nouvel œil de verre… Je ne sais encore pourquoi je ne me suis pas penchée pour le ramasser, il semblait si vrai que j’étais presque inquiète d’avoir à le toucher. Il me faisait peine, toute peluche qu’il était, qui sait d’ailleurs si les objets ont une âme ?… Je vais peut-être retourner le chercher…
Tout ça pour vous dire qu’en promenant Viktor (mon adorable peluche vivante celle là, et pour sûr dotée d’une belle âme) je découvre parfois ce dont les gens très vite se sont lassés, meubles vieillots, vaisselle démodée ou cassée, chaises estropiées, c’est ainsi que notre épouvantable et inextinguible soif de consommation s’exprime au coin des rues, dans cet amoncellement d’objets délaissés, à qui j’aimerais redonner une seconde chance plutôt que de les voir chaque jour s’épuiser davantage sous l’indifférence des nantis que nous sommes… Mais comme disent ces derniers, on ne peut, n’est-ce pas, porter toute la misère du monde…