Impression nocturne de Yaoundé

Publié le 11 novembre 2018 par Stella

C’est curieux comme aujourd’hui, les voyages deviennent comme des rêves éveillés : courts. Même lorsqu’il s’agit de traverser l’équivalent d’un continent, il suffit de quelques heures et l’on passe d’une capitale occidentale grise et froide à l’une de ses homologues africaine chaude et odorante. Un intermède à peine bruyant, cinématographique ou musical, thé ou café.

À l’aune de son aéroport plongé dans la nuit, Yaoundé parait vaste et vide. Une lune énorme, presque orange, est suspendue à une balafre de nuage. À côté, les lampadaires paraissent dérisoires et pourtant ce sont eux, modernes étoiles, qui témoignent les premiers de l’image que le chef souhaite donner de son pays. L’air est doux et sent ce mélange si particulier de poussière et de terre qui est la marque parfois suffocante de l’Afrique. Une à une, le long de la route, des maisons basses apparaissent, fantomatiques, à peine éclairées d’un lumignon, voire d’un petit feu près du seuil. Non, le progrès ne sera pas partout au rendez-vous.

Ami camerounais qui dort aujourd’hui sous la terre de France, tu te désolais de cette disparité, du poids des traditions et du retard du développement. Cette amertume s’était ancrée si fort en toi que tu as décidé de rester dans ton pays d’adoption pour l’éternité. Sais-tu qu’aujourd’hui, je mets mes pas dans les tiens et que tes appréhensions deviennent peu à peu les miennes ? Nous étions des frères mais j’étais plus optimiste que toi. Combien passionnant serait notre entretien si nous pouvions le poursuivre maintenant… Il n’y a hélas que les souvenirs pour répondre à mon monologue intérieur.

Le taxi traverse la ville. Nous avons vite laissé derrière nous les immeubles de bureaux et les entreprises, les villas cossues hérissées de concertinas et dotées de gardiens pour nous engager au milieu des faubourgs. Maisons simples, commerces nombreux, ce n’est pas la misère de ce côté. Peu de monde dehors, malgré qu’il soit encore tôt. A moins que ce ne soit là qu’un jugement de citadine, de Parisienne ? De temps en temps surgit de l’obscurité une boîte de nuit, ou un restaurant : noria de mototaxis et d’automobiles, musique tonitruante à la limite du supportable, même pour le passant. Les folles nuit de Yaoundé. Nous dépassons deux très jeunes filles qui titubent, l’une tentant vainement de soutenir l’autre. Alcool. Elles s’évanouissent dans la poussière de la route.

Mon chauffeur, Vincent, est prudent, à tous les sens du terme, et peu loquace. Il répond courtoisement à ma question quant à la dernière élection présidentielle, qui a vu le président Paul Biya être réélu pour un huitième mandat de sept ans, à 85 ans. « C’est vrai qu’un changement serait le bienvenu, me dit-il, mais les Camerounais n’aiment pas la guerre ». Tout est dit, je n’insiste pas.

Quelques instants plus tard, nous laissons à notre droite les locaux de la Sofavinc, « l’usine de vin », me précise Vincent. Une demi-douzaine d’énormes réservoirs de forme tubulaire sont alignés le long de la route, on dirait des silos à grain ou à gaz naturel. À moi qui viens du pays de la Romanée Conti, l’odeur coruscante qui s’en dégage va me rappeler pour toujours qu’il ne faut à aucun prix que j’absorbe ce breuvage, sous peine d’avoir l’estomac dissous dans d’atroces souffrances… « On appelle ça le vin des finérets », complète Vincent en me regardant du coin de l’œil. Je reste sans voix. « Vous savez pourquoi ? Parce qu’on n’a pas besoin d’en boire beaucoup pour être complètement saoul. Du coup, quand il y a beaucoup de monde, c’est mieux. » Ah ? Je passe mentalement en revue toutes les circonstances dans lesquelles il pourrait être intéressant d’obtenir une foule ivre-morte à coup d’acide sulfurique, mais je ne vois pas trop… Il va me falloir une explication circonstanciée pour que je comprenne qu’il s’agit de « vin des funérailles », cérémonie effectivement très fréquentée et pour laquelle j’admets que, si elle revient trop souvent, on puisse avoir envie de se piquer la ruche. Vu la qualité dudit, ça assure au moins à Sofavinc d’avoir toujours de la clientèle.

Je vais achever la soirée chez les Américains expatriés qui ont fort obligeamment organisé mon déplacement jusqu’à Garoua-Mboulaï, ville frontalière avec la Centrafrique. Il y a là une de leurs compatriotes, originaire du Minnesota, qui ne parle pas un traître mot de français. Directrice exécutive d’une ONG en charge de projets de développement, elle me fait même traduire le mot « petit déjeuner » inscrit sur la fiche de notre résidence hôtelière. Ca ne doit pas être simple tous les jours, pour elle. Nous allons voyager ensemble, et elle accueille avec soulagement mon anglais pourtant approximatif.