D ans les poèmes de Sanda Voïca résonne - irrévocablement, " asymptotiquement " - une Voix. Voïca Sanda : vox poetica.
Les mots surgissent, points asymptotiques vers la courbe inaccessible. Résurgence d'une douleur intérieure submergeant la mère-poète en 2015 à la perte de sa jeune fille de 21 ans. Mère-poète écrivant son chaos finalement (heureusement pour nous), hors du lit du silence-sirène qui tend souvent les nasses de son chant, aux nageurs/radeaux/brins scintillants que nous sommes, opiniâtres errants de l'absurdité du vivre. Pour tenter de les entraîner vers l'abîme de folie où le cœur parfois trouve sa raison de survivre.
Mais la mère-poète reconquiert raison de vivre. Poussant depuis le rien sa " tête vive " hors de la fenêtre qui n'était plus qu'elle-même, ouverte sur le vide, " son squelette récent ", son squelette survivant à l'avidité du vivre
" Crépitement montant de la journée
qui dévalise.
Ogresse, elle.
Moi aussi ogresse.
Qui mangera qui ? ".
Le corps, effrité, dans le délitement de tout son être à la perte de " la fille disparue ", qui vient posséder le corps et l'esprit maternel pour s'y réincarner, pour être de nouveau portée par la mère, se reconstruit rose inerme d'où se repousser un cœur-fossile, cœlacanthe vivant.
La mère renaît dans une nouvelle espèce panchronique de son être, " la fille disparue " réintégrée dans sa chair son souffle, mère de sa fille éteinte et fille de sa fille. Toutes deux revenues de la disparition de l'une d'elles pour ressurgir autre et deux en une, mère-fille, ombilic renoué.
" La fille disparue " est comme une apparition après sa disparition brutale, dont la mère nourricière, dépossédée, figurée de manière métonymique par un " pis ", allaite la mort au breuvage du jour éprouvant/incessant où retrouver source. Dans l'absence. Du puits perdu. Dans le hurlement d'éclore retenu par les lèvres arrachées à leur monde, ce cosmos symbiotique de l'enfant-mère relié par la respiration ininterrompue d'un même souffle.
Comment dire, comment écrire l'oraison sans sombrer dans la parole funèbre, sans se pencher dangereusement sur les reflets d'une noyade hallucinante à fleur de la brèche subitement ouverte dans le corps de la mère déchirée ? Comment pouvoir continuer d'articuler le monde, de formuler le langage immergé dans la douleur innommable d'avoir perdu son enfant, sans que le sens des courants du vivre ne vous " abyme " ?
" Quel cri avantquel cri après ? "
Comment retrouver la " trajectoire " en route depuis la blessure originelle, le cri primal, jusqu'à l'engouffrement, la perte fatale, sans perdre trace du monde autour, trace de soi-même égaré dans un monde devenu sans miroir depuis la séparation d'avec son enfant ? Comment ne pas chuter dans la totalité sidérante de son tremblement d'être ?
" que penser de celle qui flambe après la fille qui a flambé ?
Qui peut le penser ?
Qui pourra les penser
dans le même contour
dans le même découpage-dépeçage ? ".
LA réponse s'énonce/se formalise/se vocalise dans la possibilité de son rebond face à l'intarissable appel de la vie, dans le désir ardent de l'Écrire. La douleur capitale rassemble le cœur de l'être effrité dans l'appel et dans l'éblouissement d'une parole-balise recadrant la trajectoire par sa digue poétique. Poésie garde-fou où relever de nouvelles lignes
" La justesse du regard tombédans un nouveau filet ".
La mère-poète recommence de zéro son ascension du Vivre, femme-Sisyphe, toujours asymptotiquement, sa fille réarticulée en sa parole poétique :
" L'AU-DELÀ DE TOUT TREMBLEMENT. " Murielle Compère-Demarcy
D.R. ©Murielle Compère-Demarcy (MCDem.)
pourTerres de femmes