NOIR DE MOUCHES (extrait)
A u bout d'un moment, j'ai eu soif et j'ai voulu aller chercher de l'eau au suintement du robinet de la cuisine. Quand j'ai soulevé le verre, la mouche qui paraissait morte s'est tout à coup envolée. Jean-Pierre Chambon,
Avec le même morceau de tunique à l'étoffe grenue, j'ai commencé à nettoyer la culasse de l'arme que j'avais laissée appuyée au mur près de la fenêtre. Il s'en dégageait une vieille odeur légèrement piquante de poudre et de métal. En bas, dans la rue, la scène s'était confusément modifiée. Les ombres allongées sur le sol paraissaient d'un noir plus dense. Elles donnaient l'impression de s'être mises à ramper. Elles étaient cernées d'un grouillement frénétique, criblées d'un piquetage de traits qui en masquaient les contours comme sous de rageurs coups de crayon. J'ai pointé le fusil et regardé par la lunette du viseur. Au-dessus des formes calcinées vibraient des essaims de mouches.
Les mouches voltigeaient de plus en plus vite, comme emportées dans un tournoiement moléculaire. Je voyais scintiller leurs ailes dans la lumière qui amorçait son déclin. Noir de mouches, éditions L'Auberge des vents, Grenoble, 2018, s.f. Dessins de Philippe Chambon.