Celui qui rédigera ses mémoires à titre posthume / Celle qui médite dans la forêt silencieuse / Ceux qui écrivent comme un chasseur qui laisse traîner les ailes d’un aigle mort / Celui qui est connu pour sa qualité d’émietteur de pain / Celle qui a toujours vécu à l’écart des salons et des casinos dans la simplicité de ses millions / Ceux qui se rappellent l’absence de papier hygiénique dans les lieux d’aisance d’autrefois / Celui qui évoque les bols de lentilles que s’autorisent les sages ayant accompli leur devoir matinal / Celle qui par paresse ne change pas de chemise pendant dix jours / Ceux qui ont vu trois pies sur la tombe du pape Paul VI / Celui qui a inventé une langue destinée à son seul perroquet surnommé Joyce / Celle qui extrait une moule de sa coquille noire et se la glisse entre les lèvres en clignant de l’œil au collégien à joues fraîches comme des oreillers / Ceux qui ont relevé le jansénisme diffus des œuvres de La Bruyère / Celui qui va reluquer les jambes des femmes de quarante ans se changeant dans les cabines d’essayage du Bon Marché / Celle qui brûle de revoir M le maudit sans savoir pourquoi / Ceux qui se la jouent King Kong sur le minaret / Celui qui qualifie de fleurs malades les roses jetées sur la tombe de Baudelaire que les pluies d’automne ont flagellées / Celle qui se retient d’uriner avant la fin de la sonate au clair de l’une / Ceux qui pissent dans le violon sans écouter la sonate au clair de l’autre / Celui qui tient sa main prête sur son couteau de chasse quand il parle à ses fils pubères / Celle qui fait sauter les jeunes pianistes dans le cercle de feu / Ceux qui préparent le bain de lait de leurs maîtresses épilées après leur avoir lu du Bossuet / Celui qui demande à la mère de Job si elle a joui en accouchant de ce fils au sombre avenir / Celle qui se signe en voyant les agnostiques défiler dans la chapelle du Jarret d’Agneau signalée dans le Guide Michelin / Ceux qui se perdent dans la brume sans que nul ne s’en avise, etc.
Peinture: Gille Ghez.