Robert Houdin, le Roi, et Cagliostro

Publié le 16 décembre 2018 par Perceval

Robert Houdin est invité, en ces premiers jours de novembre 1846, à Saint-Cloud pour se rendre devant le roi Louis-Philippe et sa famille...

Le jour fixé un fourgon attelé de chevaux de poste vient de très bonne heure prendre ses bagages et le conduire au château. Un petite scène est montée, et le ''magicien '' installe ses tables, consoles et guéridons, ainsi que les divers instruments de sa séance...

R. Houdin, enchaîne les expériences, qui reçoivent un accueil très favorable : exclamations de surprise, et démonstrations plus expressives encore...

Puis, une expérience composée pour la circonstance acheva de lui concilier tous les suffrages....

En voilà l’explication :

« J’empruntai à mes nobles spectateurs quelques mouchoirs, dont je fis un paquet que je déposai sur ma table. Puis, à ma demande, différentes personnes écrivirent sur des cartes les noms d’endroits où elles désiraient que les mouchoirs fussent invisiblement transportés.

Ceci terminé, je priai le Roi de prendre au hasard trois de ces cartes et de choisir ensuite, parmi les trois endroits qu’elles désignaient, celui qui lui conviendrait le mieux.

—Voyons, dit Louis-Philippe, ce qu’il y a sur celle-ci: «Je désire que les mouchoirs se trouvent sous un des candélabres placés sur la cheminée.» C’est trop facile pour un sorcier; passons à une autre carte. «Que les mouchoirs soient transportés sur le dôme des Invalides.» Cela me conviendrait assez, mais c’est beaucoup trop loin, non pas pour les mouchoirs, mais pour nous..... Ah! ah! fit le Roi en regardant la dernière carte, je crains bien, Monsieur Robert-Houdin, de vous mettre dans l’embarras; savez-vous ce qu’elle propose?

—Que Votre Majesté veuille bien me l’apprendre.

—On désire que vous fassiez passer les mouchoirs dans la caisse de l’oranger qui est au bout de cette avenue, sur la droite.

—N’est-ce que cela, Sire! Veuillez ordonner et j’obéirai.

—Soit! je ne suis pas fâché de voir un pareil tour de magie. Je choisis donc la caisse d’oranger.

Le Roi donna à voix basse quelques ordres, et je vis aussitôt plusieurs personnes courir vers l’oranger pour le surveiller et empêcher toute fraude.

J’étais enchanté de cette précaution, qui contribuait à l’éclat de ma réussite, car le tour était déjà fait et la précaution devenait tardive.

Il s’agissait de faire partir les mouchoirs pour leur destination. Je mis le paquet sous une cloche de cristal opaque, et, prenant ma baguette, j’ordonnai à mes voyageurs invisibles de se rendre à l’endroit désigné par le Roi.

Je levai la cloche: le petit paquet n’y était plus, et une tourterelle blanche se trouvait à sa place.

Le Roi s’approcha alors vivement de la porte, à travers laquelle il porta ses regards vers l’oranger, pour s’assurer que le comité de surveillance était à son poste. Cette vérification faite, il se mit à sourire en hochant légèrement la tête.

—Ah! Monsieur Robert-Houdin, me dit-il, avec une teinte d’ironie, je crains bien pour la vertu de votre baguette magique. Voyons, ajouta-t-il en se retournant vers le fond du salon, où se tenaient quelques serviteurs; que l’on aille prévenir Guillaume (c’était, je crois, un des maîtres jardiniers) de faire immédiatement l’ouverture de la dernière caisse qui se trouve sur la droite de l’avenue; qu’il cherche avec précaution dans la terre et qu’il m’apporte ce qu’il y trouvera,... si toutefois il y trouve quelque chose.

Guillaume ne tarda pas à arriver près de l’oranger, et, bien que très étonné des ordres qui lui étaient donnés, il se mit en mesure de les exécuter.

Il enleva soigneusement un des panneaux de la caisse, en gratta la terre avec précaution, et déjà l’une de ses mains s’était avancée vers le centre de l’oranger sans avoir rien découvert, quand tout-à-coup un cri de surprise lui échappa, en même temps qu’il retirait un petit coffret de fer rongé par la rouille.

Cette curieuse trouvaille, nettoyée de la terre qui la souillait, fut apportée et déposée sur un petit guéridon qui se trouvait près du Roi.

—Eh bien, Monsieur Robert-Houdin, me dit Louis-Philippe dans un mouvement d’impatiente curiosité, voici un coffret. Est-ce que par hasard les mouchoirs s’y trouveraient renfermés?

—Oui, Sire, répondis-je avec assurance; ils y sont et depuis fort longtemps.

—Comment depuis fort longtemps? cela ne peut être puisqu’il y a à peine un quart d’heure que les mouchoirs vous ont été confiés.

—Je ne puis le nier, Sire; mais où serait la magie si je ne parvenais à exécuter des faits incompréhensibles? Votre Majesté sera sans doute plus surprise encore, lorsque je lui prouverai d’une manière irrécusable que ce coffre, ainsi que ce qu’il contient, a été déposé dans la caisse de l’oranger, il y a soixante ans.

—J’aimerais assez vous croire sur parole, reprit le Roi en souriant, mais cela m’est impossible; dans ce cas, il me faut des preuves.

—Que Votre Majesté veuille bien ouvrir cette cassette, et elle en trouvera de très convaincantes.

—Oui, mais j’ai besoin d’une clef pour cela.

—Il ne tient qu’à vous, Sire, d’en avoir une. Veuillez la détacher du cou de cette charmante tourterelle, qui vient de vous l’apporter.

Louis-Philippe dénoua un ruban qui soutenait une petite clef rouillée, avec laquelle il se hâta d’ouvrir le coffret.

Le premier objet qui se présenta aux yeux du Roi fut un parchemin sur lequel le monarque lut ce qui suit:

'' AUJOURD’HUI, 6 JUIN 1786, Cette boîte de fer, contenant six mouchoirs, a été placée au milieu des racines d’un oranger par moi, Balsamo, comte de Cagliostro, pour servir à l’accomplissement d’un acte de magie qui sera exécuté dans soixante ans, à pareil jour, devant Louis-Philippe d’Orléans et sa famille. ''

—Décidément, cela tient du sortilège, dit le Roi de plus en plus étonné..... Rien ne manque à la réalité, car le sceau et la signature du célèbre sorcier sont apposés au bas de cette déclaration qui, Dieu me pardonne, sent fortement le roussi.

A cette plaisanterie, l’auditoire se prit à rire.

—Mais, ajouta le Roi, en sortant de la boîte un paquet cacheté avec beaucoup de soin, serait-il possible que les mouchoirs fussent sous cette enveloppe?

—En effet, Sire, ils y sont; seulement, avant d’ouvrir ce paquet, je prie Votre Majesté de remarquer qu’il est également scellé du cachet du comte de Cagliostro.

Ce cachet, qui a joué un grand rôle sur les fioles d’élixir de longue vie et sur les sachets d’or potable du célèbre alchimiste, avait une certaine célébrité.

—Certainement, c’est bien le même, répondit mon Royal spectateur en regardant à deux fois le sceau de cire rouge.

Toutefois, impatient de connaître le contenu du paquet, le Roi en déchira vivement l’enveloppe, et bientôt il étala devant les spectateurs étonnés les six mouchoirs qui, quelques minutes auparavant, étaient encore sur ma table. »

** Texte extrait de : '' Confidences et Révélations: Comment on devient sorcier par Jean-Eugène Robert-Houdin.'' 1868

Ch-L de Chateauneuf, sera d'autant plus interpellé par cette expérience que Cagliostro, lui semble être un personnage incontournable dans sa recherche... Beaucoup de frères maçons se réclame de l'Egypte... Et le ''rite égyptien '' alors avancé se rattachait de près ou de loin au Rite Egyptien de Cagliostro (1743-1795) de 1784...

La science ainsi professée n’est pas exempt de diverses manipulations, et l'esprit est fortement sollicité pour discerner – non pas le vrai du faux – mais l'esprit de la lettre... La lettre ne décrit que le sensible ; et ce n'est déjà pas rien … L'ésotérisme n’apparaît alors n'être que l'expression de l'indicible ; et le prendre à la lettre est du même ordre que de prendre une illusion pour de la science … !

On retrouve Cagliostro, en Allemagne, obtenant un certain succès avec le Rite Egyptien...

En 1779, Cagliostro fonde en Allemagne une loge maçonnique égyptienne... Il sera au cœur de ce qu'on appelle la querelle du crypto-catholicisme... A la faveur de l’Aufklärung qui se veut un mouvement émancipateur, des intellectuels dénoncent l'imposteur Cagliostro, mais aussi à ceux qu’ils appellent indistinctement « martinistes » ou « illuministes »... Certains suspectent, même, Cagliostro d'être un agent catholique ( et même jésuite …) opposé à un protestantisme défenseur d'une religion raisonnée.

Le contexte maçonnique défend une autre interprétation … : en Allemagne, la Stricte observance templière, alors dominante, se rattache à la communauté chrétienne primitive... Elle maintient vive le souvenir des Croisades, l'influence musulmane et les persécutions des chevaliers templiers par le pape....

La légende dit que Cagliostro, en visitant un souterrain, dans le sud allemand, a trouvé un parchemin vieux de cinq siècles : c'est un manuscrit des Templiers ! Il donnerait au comte la mission de venger l'ordre du Temple et de contribuer au renversement de tous les souverains absolus...

Cagliostro peut devenir ainsi un héros révolutionnaire, comme dans le Joseph Balsamo (1849), d’Alexandre Dumas, où il apparaît comme l’artisan philanthrope, pour la France, d’une révolution démocratique européenne.

Ce séjour en Allemagne de Cagliostro ; et son rapport avec les Templiers ; nous le retrouverons avec Wolfram von Eschenbach et son '' Parzival'' dans un prochain article …