Magazine Journal intime

Chroniques d'Europe (17) - La chef

Publié le 10 juillet 2008 par Audine

Ce commercial devenu patron a une tactique : celle de saouler de paroles n’importe qui.

Histoire d’imaginer un peu, je regarde s’il y a présence d’une alliance.

Je finis par ne plus le prendre au téléphone, et lui dit « vous parlez trop ».

Il me met dans les pattes un directeur.

Le directeur, à moitié chauve et efféminé, arbore un pansement en travers du crâne.

Je me demande sans y croire si c’est un salarié ou son boss ou bien ?

Il me raconte qu’il a été idiot. Il s’est levé de son lit trop brusquement, et il est tombé, pris d’un malaise vagal, et même que ça aurait pu être bien plus grave.

Depuis, je fais gaffe, si j’ai envie de faire pipi au milieu de la nuit.

Je me souviens, d’un trajet en bus où je n’arrivais pas à éviter un homme noir pas trop mal mis, avec une mallette à la main, qui parlait tout le temps sans que l’on ne comprenne ce qu’il disait. L’incommunication personnifiée.

Il y a Brigitte aussi, qui fait du secrétariat mais surtout de la présence bavarde sur les étages.

Elle porte des chapeaux rouges, a tenté d’élever un escargot dans son tiroir de bureau – mais il a pris la fuite, un jour, et laisse un cactus devant ou sur son écran d’ordinateur pour capter les ondes à sa place.

Elle, on comprend ce qu’elle dit. Le plus souvent, des vitupérations. Contre les caillaisseurs de bus, contre ceux qui travaillent moins qu’elle. Elle distribue des bonbons dans les couloirs et même des sucettes dans un discours où se côtoient faux intérêt pour l’autre et généralités critiques à la limite du vulgaire.

C’est un bloc d’énergie inutile.

Le matin elle vient à pieds et une fois, baladeurs sur les oreilles, je tombe sur elle, à la sortie de la résidence là, juste derrière.

A peine je fais un pas en parallèle aux siens qu’elle m’explique pourquoi les français sont des cons, et ses mots me vrillent la tête. Je bifurque prétextant un achat à la pharmacie. Et me trouve un chemin d’alternative pour la prochaine fois où les heures de nos trajets correspondent.

Il arrive qu’elle soit violente alors personne n’ose lui dire qu’elle mine. Elle est capable de venir vociférer sous votre nez, vous polluer de postillons, de menacer finalement.

Une fois, au bout d’un jour et demi de photocopies faites à notre étage et de considérations indignées sur le fait qu’elle paie des impôts donc qu’elle a le droit de l’ouvrir, alors que tout le monde s’en plaignait, après être allée vérifier que les autres photocopieurs étaient en état de marche, je lui ai demandé de répartir sa présence sur les étages.

Mais elle préfère notre photocopieur. J’ai insisté. Elle a hurlé qu’elle laissait passer tout le monde. J’ai rétorqué que ça n’était pas le problème. Déjà elle faisait un boulot qui n’était pas le sien et elle était bien gentille, qu’elle a continué. J’ai surenchéri en suggérant fortement qu’elle soit gentille ailleurs. Elle a dit personne ne se plaint. J’ai dit tout le monde. Elle s’est énervée parce qu’elle ne gêne pas. Je lui ai dit Brigitte tu parles 24 heures sur 24.

Elle a décidé de refuser dorénavant de faire des photocopies.

Quelques temps après, je l’ai entendue, il était 18 heures 30, parler à notre photocopieur.

Mais bon, ça dérange moins.

Etre chef est une position de solitude.

Qui réserve parfois des désillusions sur les autres.

Et il faut accepter de ne pas être aimé.

Là où je me suis le plus félicité d’avoir gardé une distance respectable avec la petite trentaine de collègues d’un service que j’encadrais, c’est lorsqu’une pointeuse chargée de gérer nos horaires variables – mais dont la base minimale hebdomadaire était tout de même restée fixe … a été installée devant mon bureau.

La machine fait un bip devant chaque badge qui passe.

Alors que des années avant un militant CGT avait déclaré qu’une pointeuse était sensible aux chewing-gums, j’ai toujours été étonnée par l’absence de sabotage.

En revanche, j’ai du expliquer que chacun devait pointer avec son badge, et qu’une collègue ne pouvait être déléguée pour passer quatre badges. Tout au moins devant mon nez, précisais je in petto.

J’ai du aussi expliquer que les prises de sang au labo d’à coté ne se faisaient pas après pointage et sortie discrète par l’escalier de secours mais avant – l’imagination des agents n’allaient pas jusqu’à me représenter dans l’escalier de secours.

Un type bossu, d’extrême droite, méprisant, a soutenu à mon directeur qu’il ne comprenait pas pourquoi j’affirmais qu’il arrivait parfois une heure après son heure de pointage. Mon directeur lui a alors demandé s’il m’accusait d’inventer, et pourquoi ? Mais lui connaissait la raison, puisque j’avais dit qu’il était raciste et que je ne l’aimais pas.

Malgré tout, le pire a été un matin d’arrivée, derrière la voiture d’une agent. Qui s’est arrêtée au milieu de l’allée, est allée pointer, puis est ressortie pour aller garer sa voiture dans le parking souterrain, sur les heures de travail, donc.

Une femme de vigneron, et de vigneron qui vend. A temps partiel.

Plus le temps avance, plus je préfère le silence.

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