L e visage est celui d'une très jeune femme, aux lèvres pleines. Yeux en amande, regard voilé, figure d'icône. Elle est souvent vêtue, en ces jours de printemps tardif, d'une sorte de bustier qui lui découvre l'épaule droite, et le haut de la poitrine, qu'elle porte pleine ; bien galbée ; bien tenue.
L'hiver, ses seins roulent sous la laine écrue de son pull.
Ses cheveux surtout
sa chevelure
attirent le regard ; elle les porte très longs, et libres ils se déploient jusqu'à ses reins, en écrin de matière soyeuse, vivante, vibrant de l'éclat sombre du henné qui les cuivre. Chevelure ombreuse vers quoi la main se tend, que l'on peine à retenir ;
chevelure
de femme nue
au bord d'un fleuve.
Sa peau et blanche et mate ;
cette peau
ce flot
qui ondule
cette chevelure où s'enfouir
tout est à l'image de la Madeleine hispano-flamande devant laquelle ô joie jadis baissaient leurs yeux les fidèles, lorsque leurs lèvres se refermaient
sur le corps du Christ.
Sur cette vierge pâle et brûlante est passé le vent du noroît, humide, qui balaie les Flandres.
Mais il reste en elle du Sud qui a fécondé nos forêts épaisses : sa chevelure est métisse, crépue comme les femmes de ce pays où se sont longuement entremêlées les armées, les langues, les peintures.
Après le bain, elle flamboie sombre et splendide et sent le musc.
Au délié, des senteurs d'Algarve et d'herbe qui font rêver.
Jeune belle venue de loin égarée dans nos brumes.
Lorsque le maître de ses chiens l'accompagne dans les bois humides du nord de l'Ile-de-France, l'été, il plonge parfois tout son visage dans la chevelure de la belle, à perdre le souffle...
Elle ne se dérobe qu'à demi à sa présence éperdue.
Alain Gorius, " Métisse " in Portraits secrets, La Lucarne des Ecrivains, 2018, pp. 51-52-53. Photographies de Joël Leick.