Les apprentis
Publié le 11 juillet 2008 par CorckyAujourd'hui, tu permets?
Un petit hommage à Jeannot, qui vient de terminer son stage tant bien que mal et qui va sans doute retourner taquiner le gougeon au fin fond du trou du cul de la Creuse.
En plus, ça me permet de recycler un vieux billet, donc de poster sans rien branler, et de te fournir malgré tout un peu de lecture au cas où tu te ferais chier au bureau (ou chez toi, parce que tu as aussi le droit de te faire chier chez toi, surtout si tu n'es pas fan de cyclisme).
C'est tout bénef'.
Ne me remercie pas.
Service.
Jeannot.
Jeannot est stagiaire "travailleur social" chez nous.
Il bosse autant qu'un salarié, il en prend autant dans la gueule.Mais il est gratuit, lui, et m'est avis que dans les années qui viennent, on embauchera de moins en moins d'intérimaires et de plus en plus de stagiaires. En plus, Jeannot, c'est l'innocence même. La bonne pâte. Le mec gentil avec une tête de naze absolu, que même une bonne soeur aurait envie de lui faire une crasse ou de lui coller une beigne gratuite.
Le mec que tous les hébergés du Foyer ont calculé à la minute même où il a mis les pieds dans la salle commune.Comme s'il avait "PIGEON" écrit au milieu du front.
Jeannot est vite devenu le fournisseur officiel de nos caïds en clopes, menue monnaie, chewing-gum et appels gratuits depuis un portable Bouygues. Alors bien sûr, quand on a envie de s'en payer une tranche au boulot, sur qui ça tombe? Tiens, pas plus tard que l'autre jour, justement. On avait un nouveau résident. Un mec étonnant: dreadlocks, boubou multicolore et une zenitude qui me fait penser que si le chef Sitting Bull avait été Noir sur la célèbre photo que les Alter-Machin s'arrachent dans les boutiques à touristes de Saint-Michel, il aurait ressemblé à ça. Jamais un mot plus haut que l'autre. Le calme absolu. Je le soupçonne presque de fumer pétard sur pétard dans sa chambre. En plus, il a un collier vraiment étonnant: Un truc vachement joli, fait de perles et de coquillages, avec une grande photo au milieu, enchassée dans un rectangle de cuir. Photo un peu floue, ce qui aiguise la curiosité des petits cons que nous sommes.
Les spéculations sont allées bon train dans l'équipe concernant l'identité de la personne qui siège sur le coeur de notre ami. - C'est Alpha Blondy jeune. - C'est Bob Marley vieux. - C'est sa mère. - C'est Brigitte Bardot déguisée en Sénégalaise. Finalement, la bonne idée a surgi du cerveau dégénéré, putride et noyé dans le whisky d'Ahmed. - On va envoyer le stagiaire lui poser la question. Brillant! Génial! On en était presque à lui baiser les pieds et à lui autoriser une pause-café, à ce con. L'autre couillon n'a même pas protesté quand on l'a envoyé asticoter notre ami à la cafétéria. Sourire de boy-scout amoureux de son curé, regard pur comme un cristal de cocaïne tout frais, démarche assurée de l'idiot qui va au casse-pipe et qui ne le saura jamais., même après s'être mangé trois pruneaux dans le buffet. Et nous, planqués à quelques mètres de là, faisant mine de discuter du cours des topinambours sur les marchés de l'Aveyron. - Bonjour monsieur C. - Salutations, apprenti (oui, il parle comme ça, monsieur C, on dirait le fils caché de Maître Yoda et de Mori Kanté). - Un p'tit café? - J'en ai déjà un, merci (faut dire que c'est le seul hébergé qui ne profite pas honteusement de notre petit cocu) - Ah. - .... - Heu... - ..... - Heu, je voulais vous dire....comment dire...enfin, je voulais vous demander... Bref regard lancé à notre petit groupe: signal de détresse.S.O.S oculaire.Pathétique prise de conscience qu'on s'est fait piéger comme un bleu-bite. Oeillade glaciale d'Ahmed: "Tu vas jusqu'au bout ou bien t'auras une note de merde à la fin de ton stage". - Je voulais vous dire, que, heu, enfin...Elle est vachement belle, votre soeur. Et pour enfoncer le clou, il pointe du doigt la photo du collier (parce que quand il merde, il merde avec aplomb, avec emphase, il merde comme un chef, comme un roi, Jeannot, c'est le merdouilleur le plus consciencieux qu'on puisse trouver). A ce stade, monsieur C. ne le quitte pas des yeux. A ce stade, monsieur C. est toujours aussi calme. A ce stade, monsieur C. va prendre la parole. - Sache, jeune homme, qu'il s'agit de mon guide spirituel, l'un des plus grands marabouts de mon pays, qui est né le même jour que moi. Et il se lève, très digne, rassemble les pans de son boubou autour de ses jambes, et s'éloigne en faisant claquer ses tongs. En passant devant nous, il nous glisse: - Votre apprenti, c'est une vraie tête de con.
Et nous une parfaite bande de salopards, mais c'est pas non plus un scoop.