Magazine Nouvelles

Marilyse Leroux, Le Sein de la terre par Angèle Paoli

Publié le 07 janvier 2019 par Angèle Paoli

LE CONTRE-CHANT DES AMANTS

C' est au cœur de la terre, en son sein le plus secret, que s'abrite, intact, le voyage. Le voyage auquel nous sommes conviés dans ces pages est celui de l'amour. Marilyse Leroux en est l'égérie, et la coryphée qui conduit le dialogue poétique avec l'être aimé.

Le Sein de la terre est un très bel ouvrage, superbement accompagné des peintures et aquarelles de Véronique Durruty. L'artiste compose un voyage onirique qui va l'amble avec les poèmes. Pluriel, coloré, léger, aérien. Dansant. L'échange entre les amants se joue sur le fil ténu d'horizons, floraux et végétaux, bercé par le mouvement des vagues et par celui des lèvres et des corps. Chaque page est une découverte. Un arrêt sur image. Un suspens. Poème et dessin alternent ; caractères romains et italiques également. Masculin/féminin. Sous les italiques se tissent les mots de la poète.

La voix est assurée, mais elle est douce. Avec elle renaît l'espoir. D'un ailleurs, d'un autrement. L'autre voix est celle de l'amant que rend inconsolable la perte de la femme aimée. D'un poème à l'autre, la plainte sourd. Elle déroule au fil des pages son long ruban de désarroi. Ainsi dans la complainte ci-après où semblent devenus insaisissables mots et gestes de l'amant et tant perdu :

" Je ne sais plus rien

ton rire n'atteint plus

le lit de la mer

je ne l'entends plus rouler

sur les pentes

la peau de l'eau a changé

ma langue ne la reconnaît plus. "

Et l'amante de répondre par des mots qui ouvrent sur d'autres possibles :

" Il faut partir

sans te détourner du feu

qui consuma nos corps

Ce qui a été vécu

tourne encore

dans les chambres

Autre magie autre rituel

le silence reprend les gestes

dans un autre phrasé. "

Car l'amour est multiple, lui aussi - comme le voyage -, qui va de la passion jusqu'à la dissolution. Il laisse les amants désemparés, chacun cherchant l'autre à son aune. Un " filament " léger continue pourtant de courir de l'un à l'autre, d'unir les amants, par-delà les souffrances de la séparation.

" Une force nous relie

à tout le bleu en dessus ".

À chaque souvenir évoqué dans la mélancolie d'un bien perdu, l'amante répond par des images énigmatiques. À chaque plainte, elle dispense un conseil. Le ton est souvent celui de l'injonction, tendre et confiante :

" Laisse mûrir ta voix

à l'ombre des portes

tu connaîtras le voyage

où les signes s'épousent "

ou encore, plus loin :

" Ouvre les yeux

la lumière est ton collier ".

Marilyse Leroux a placé son recueil sous l'égide du poète latin Ovide : " Omnia mutantur, nihil interit " | " Tout change, rien ne meurt. " Avec ces vers " lampedusiens " tirés des Métamorphoses s'entreprend la longue marche vers un inconnu dont seule la poète, comme jadis les pythonisses au temps des oracles, semble posséder les clés d'un renouveau :

" Va ne crains rien

la beauté rattrapera

le long de la route

à la lisière d'un bois

d'une prairie ou d'un lac ".

L'amant égaré s'obstine. Il se perd dans l'envers du miroir. Toute tentative de changement se mue en son contraire. De son côté, la sibylle poursuit la voie qui est sienne. Elle dans la clarté de la lumière ; lui dans la nuit qui l'obsède. Lui dans une errance sans boussole ; elle dans une sagesse inaccessible ; lui dans les mots du reproche ; elle dans la parole prophétique :

" Tu avais un cœur de prophétie

sur des lèvres d'amante

pourquoi as-tu brisé mon chant

me voici ombre avec mon ombre

mon chemin reste long de toi. "

L'aruspice répond en écho :

" Je vois ton visage

en découpe sur la grève

le moment est venu

de te retourner

Rien n'est perdu

si tes mots s'accrochent

à d'autres pointes

laisse le nuage

confondre l'énigme. "

Le dialogue amoureux se poursuit en un contrepoint continu de voix qui se cherchent et s'effleurent sans vraiment se rejoindre. Comme si les amants se situaient sur des courbes opposées d'une même ligne mélodique. Usaient de langages irréconciliables. Dans des univers de pensées si irréductibles que nulle image ne peut les ressouder.

L'amante semble détenir un savoir antique, bâti sur une expérience unique, acquise de longue date. Lui, au contraire, poursuit son rêve bâti sur l'écume. L'impalpable éphémère dont il est impossible de se délivrer. Là où l'amant progresse en ressassant le passé, l'amante répond en regardant le futur.

" Tu me disais

jamais sans toi

et je le croyais ".

À quoi l'amante répond :

" Avance amour

lorsque tu me retrouveras

ce ne sera pas le halo de la lune

ce ne sera pas l'éclat de la mer

mais ce qui brille de moi

à l'intérieur de toi. "

Ainsi se poursuit le dialogue des amants. Jusqu'au détachement ultime qui est celui de l'absolu de l'amour. Un superbe contre-chant que cette chanson mythique des amants.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


Marilyse Leroux,  Le Sein de la terre  par Angèle Paoli


Retour à La Une de Logo Paperblog