« Donnez-nous donnez-nous des jardins, des jardins pour y faire des bêtises, d’où l’on revient des p’tites fleurs à la main quand on a déchiré sa chemise » (Pierre Perret)
Certes, on peut déployer tout un arsenal de facteurs socio-économiques pour expliquer le ressentiment d’une part non négligeable de la population envers les dirigeants politiques : mais le fait qu’il s’exprime avec une telle violence est symptomatique d’un manque qui n’est pas uniquement matériel. Vous l’aurez remarqué, depuis quelques années, l’espace accordé à la satire politique se réduit comme peau de chagrin en France : il y a quatre ans, Charlie Hebdo perdait ses meilleurs caricaturistes dans les circonstances tragiques que l’on sait ; la plupart des journaux se passent de plus en plus de dessins politiques, même ce vieux con de Jacques Faizant n’a pas été remplacé après sa mort, et les Guignols de Canal+ ont été assassinés par Bolloré. Or, la satire politique joue un rôle capital dans une démocratie : non seulement elle est le baromètre de la liberté d’expression mais, de surcroît elle sert de soupape de sécurité ; elle permet à la contestation de s’exprimer par l’humour plutôt que par la violence. Supprimez cette soupape, et le corps social explose.
Dessin commémoratif.
Un signe qui ne trompe pas est que la plupart des dirigeants politiques qui ont déclaré la guerre aux humoristes politiques l’ont payé très cher : Giscard a censuré Bedos, ça n’a fait que précipiter sa chute ; Balladur a obtenu la tête du patron de Canal+, les Guignols ont flingué sa candidature aux présidentielles ; Sarkozy a fait virer des comiques à tour de bras, vous connaissez la suite ; même aux États-Unis, ça se vérifie : lors de sa campagne pour les présidentielles de 1992, George Bush senior a déclaré que les Simpson donnaient un mauvais exemple, et il a rejoint le club très fermé des présidents américains non-réélus. En clair, plus un élu politique fait montre de tolérance envers la satire politique et moins il s’expose à être destitué par le peuple, ne serait-ce que parce qu’il affiche une attitude tolérante qui le conforte dans sa légitimité à exercer le pouvoir dans un pays démocratique : en laissant la contestation dont il peut faire l’objet s’exprimer par l’humour, il limite les risques d’un désaveu violent. La satire politique n’est pas pour autant un frein au changement : elle peut l’accompagner en lui permettant de s’opérer dans la douceur.
Bien sûr, ni Emmanuel Macron ni aucun autre membre de la majorité actuelle n’est responsable de la déréliction de notre culture satirique : Bolloré a fait tomber les Guignols pour venger son ami Sarkozy et les terroristes du 7 janvier 2015 ne songeaient pas à faire plaisir à un quelconque homme politique français. Il n’empêche que le gouvernement actuel récolte aujourd’hui ce qui a été semé par des années de censure économique et d’intimidation des humoristes. En l’état, je ne sais pas ce qu’il faut faire pour donner un nouveau souffle à cette tradition satirique française que tant d’étrangers nous envient : mais il serait bon d’y réfléchir avant de sombrer définitivement dans le chaos. La seule chose dont je suis sûr, c’est que ce n’est pas en menaçant de mort les caricaturistes qui se « paient » les leaders des gilets jaunes qu’on va y arriver !