22h : Je traverse une période assez faste sur le plan personnel ; deux semaines après la mort de ma grand’mère chérie, ça me réconforte évidemment. Cela dit, le bien-être après un grand malheur, ça peut être dangereux sur le plan intellectuel : ainsi, j’ai été à deux doigts de me dire que si tout allait si bien pour moi, c’était peut-être parce que l’esprit de ma mamie veillait sur moi ! Honte sur moi : con comme une grenouille de bénitier ! Les curés savent parler au bon peuple, hélas ! J’aimerai toujours ma mamie mais je n’aimerai jamais les religions !
Jeudi 31 janvier
14h : Sur l’invitation du directeur du centre socioculturel de Guilers, je réponds à un journaliste local pour faire la promotion de mon album et, accessoirement, de la conférence que je donne lundi prochain dans ledit centre. J’ai la sensation très nette que mon interlocuteur ne comprend rien à mes théories sur l’image satirique et c’est finalement avec le directeur du centre que j’ai les échanges les plus intéressants. Attendons tout de même la publication de l’article pour voir…
15h : Je passe à la poste ; devant moi, un homme d’âge mûr, qui semble confondre le guichet de la postière avec le comptoir du café du commerce, déblatère sur les « Manouches-qui-se-paient-des-Mercedes-avec-de-l’argent-venu-d’on-ne-sait-où-et-que-personne-n’embête-alors-qu’on-harcèle-les-bons-petits-Français-comme-moi-sur-la-provenance-de-mes-revenus ». Déjà que je ne supporte pas, quoi qu’il arrive, les gens qui retardent la file en taillant une bavette avec le guichetier (faut-il qu’ils aient une vie de merde pour prendre un fonctionnaire comme confident), s’ils profèrent, par-dessus le marché, des insanités de cet acabit, j’explose ! Depuis Auschwitz, on n’ose (presque) plus balancer sur la supposée avarice des Juifs, mais on a oublié que les Tziganes ont eux aussi été victimes de l’holocauste ! Alors, n’y tenant plus, j’ai crié à l’attention de ce mammifère bavard « Merci monsieur Poujade ! » Une fois passée la surprise de m’avoir entendu alors qu’il me tournait le dos, il n’a plus bronché : je parie qu’il ne savait même pas qui était Pierre Poujade, et pourtant, vu son âge, il en a sûrement davantage entendu parlé que moi ! Et après, on dit que c’est ma génération qui est perdue… Non seulement je ne vois pas en quoi ma génération est perdue mais je ne suis pas loin de penser que celle qui l’a précédée est irrécupérable !
16h : On me renvoie une énième fois un article sur Albert Camus pour le conformer aux normes du support qui doit l’accueillir… Quand j’étais doctorant, on m’avait appris des règles de présentation très claires que je continue à suivre aujourd’hui : malheureusement, le monde universitaire est ainsi fait que chaque revue, chaque laboratoire, chaque institution n’en fait qu’à sa tête ! Quand on me disait qu’un chercheur doit se remettre constamment en question, j’imaginais autre chose ! Comme si la recherche n’était pas déjà un travail à part entière, il faut en plus se coltiner des tâches ingrates non rémunérées : on réduirait le nombre de chômeurs en embauchant du personnel qualifié pour de telles tâches, sans compter que les personnes employées auraient ainsi la fierté de faire avancer la recherche sans même avoir de diplôme.