J’admire chez les indiens leur aptitude à ne rien faire, aptitude qu’ils sont peu à peu en train de perdre. Dans l’ère de la productivité, du rendement, de l’optimisation, ne rien faire est une aberration. Travailler, lire, faire du sport ou le ménage, cuisiner, jouer, dormir, voyager, surfer sur les réseaux sociaux, l’esprit est sans cesse sollicité. Alors quand ça devient pesant, ingérable, on se tourne vers les différentes méthodes de méditation, pour apprendre à ne plus se laisser dépasser par les atermoiements d’un cerveau en surchauffe. Voilà donc que ne rien faire est devenu quelque chose à faire, un élément du quotidien, bien stabyloté sur une to-do-list. C’est à devenir fou ! D’après Marc Halévy, un homme d’aujourd’hui abat en une journée le même nombre de tâches que son homologue de 1900 accomplissait en 22 jours. Tout va tellement plus vite que le temps est devenu une denrée précieuse.
Les Indiens, eux, peuvent rester accroupis sur le pas d’une porte pendant des heures. Passer neuf heures d’avion sans allumer l’écran ni leur téléphone. Partir une semaine en vacances à la plage sans amener un seul livre. Regarder la vie autour et regarder dans le vide. Ça me fascine.
D’ailleurs, quand tu leur demandes ce qu’ils ont fait de leur dimanche, il n’est pas rare qu’ils te répondent « nothing, I just chilled ». Ils ont chillé, glandé en français même si nous en maîtrisons bien moins l’art.
Si par malheur, tu essayes de mettre un peu de pression à un Indien pour qu’il fasse quelque chose, il te rétorquera facilement (s’il y est du même échelon social que toi) « chill », détends-toi. Et quand tu commences à te mettre au chillage, tu te dis que les Français, comme certainement beaucoup d’Européens, sont quand même tendus du string.
S’ils mettent bien leur montre à l’heure indienne quand ils viennent, ils ont du mal à se mettre au temps indien. Le temps de la dernière minute, du départ sans cesse repoussé, du retard constant, mais où tout (ou presque finit) par arriver, non sans suées froides pour l’étranger. Si tu commandes un taxi par exemple, tu seras inspiré de lui demander de venir une demi-heure avant le départ. Et tu ne devras pas t’offusquer si, après ses deux heures de pause, il te fait faire un détour et perdre vingt minutes pour aller mettre de l’essence, ce qu’il aurait pu faire seul. Chille quoi… Oui tu as fait des efforts pour chronométrer ta journée à la seconde près, pour faire un maximum de choses et ne pas en perdre une miette. Mais as-tu seulement pris le temps de respirer ? Je me dis que je vis depuis trop longtemps en Inde quand j’entends les gens râler dans le RER pour un retard de quinze minutes par exemple. Chille quoi…