Sabrina**

Publié le 17 mars 2019 par Zebralefanzine @zebralefanzine

Comme on a parlé de "style Wikipédia" pour souligner la platitude du style de M. Houellebecq ; on pourrait rapprocher le trait de Nick Drnaso du "style Ikéa", volontairement terne et minimaliste pour mieux "coller" au sujet de "Sabrina" : la classe moyenne américaine.

La comparaison s'impose avec Houellebecq, car outre le style et le sujet, N. Drnaso propose un cliché non retouché des Etats-Unis, pays de l'optimisme et du sourire obligatoires, où l'on affiche son bonheur bien plus qu'on est heureux.

- Même forme de voyeurisme honnête chez Houellebecq.

Avantage de Drnaso sur Houellebecq, il vit dans la partie la plus "avancée" du monde ; le lecteur français dispose donc avec "Sabrina" d'une sorte de roman d'anticipation.

Calvin, personnage autour duquel Drnaso tisse son scénario, est employé comme informaticien par l'armée. En plein divorce, il occupe une vaste maison vide où il accueille volontiers un copain d'enfance, Teddy, bouleversé par la disparition subite de sa fiancée, qui fait craindre le pire.

Hypocritement, quelques critiques anglo-saxons ont décrit "Sabrina" (en lice pour un prestigieux prix littéraire), comme une BD sur le complotisme dans l'Amérique de Trump. Bien entendu Trump n'est qu'un symptôme ; on peut en dire de même du "complotisme", qui est devenu aux Etats-Unis en quelques décennies une véritable contre-culture : le complotisme ou la paranoïa n'est que le symptôme d'un malaise plus profond. Le dollar est le principal garant de l'unité d'une société très disparate ; aussi la "croissance économique" est-elle aussi importante Outre-Atlantique et la crise des valeurs boursières synonyme d'implosion quasi-instantanée du corps social.

La BD de N. Drnaso illustre en particulier le rôle de la culture audio-visuelle dans la paranoïa du citoyen lambda, dont les sens sont inondés en permanence d'informations visuelles et auditives, sans que celui-ci ait le loisir de faire la part de l'information véritable et de la propagande politique ou commerciale, du rêve et de la réalité.

Certains observateurs décrivent d'ailleurs depuis quelques années un phénomène de régression de la culture américaine ; la lecture et l'écriture jouent un rôle de plus en plus réduit dans la vie d'un nombre grandissant d'Américains. Les documents audio-visuels rendent l'examen critique plus difficile.

La limite de ce type d'ouvrage, par Drnaso ou Houellebecq, est qu'il contribue au voyeurisme et au néant qu'il montre. Il est frappant que Houellebecq n'ait rien vu venir du mouvement de révolte des Gilets jaunes, en dépit du point de vue quasiment sociologique adopté par ses romans. La société est, à l'instar de la mort, un sujet pétrifiant.

"Sabrina", par Nick Drnaso, éd. Presque Lune, 2018.