Ondine - Illustration de Benjamin Lacombe
Nous avons découvert Ondine (Undine, en allemand), un conte de Friedrich de La Motte-Fouqué, paru en 1811, dans lequel ce génie féminin des eaux, cherche, en épousant le chevalier Huldebrand, à acquérir l'âme dont elle est dépourvue.
En 1803, La Motte-Fouqué épouse en secondes noces Caroline von Briest, avec laquelle il a une fille, Marie, dans l'année. Elle est une femme de lettres romantique allemande qui anime à Berlin, un salon littéraire. En 1812, elle publie un recueil de sagas et de légendes...
NennhausenIl donne alors sa démission de l'armée, et le couple s'installe à Nennhausen, propriété installé près de Rathenow et appartenant à son épouse. L'un et l'autre se consacrent alors à la littérature... Le 21 août 1831, Caroline meurt à Nennhausen, et ses restes sont inhumés dans le parc du château
''Curieusement'' - je rapproche ce qui suit du ''couple à trois '' ( Huldbrand , Ondine, Bertalda) du conte - le 25 avril 1833, il se remarie avec la fille d'un officier suédois, la jeune Albertine Tode (1806-1876), de trente ans plus jeune... En effet, Charles Theodor Fournel (1817- 1869) qui est étudiant de Fouqué, et loge chez eux ( courant à l'époque); a une liaison avec Albertine; il est le véritable père des deux enfants d'Albertine...
Princesse Marie anne de PrusseFournel fut précepteur des enfants royaux de Prusse à Berlin. Il a publié des ''Légendes dorées'' ...
Friedrich de la Motte Fouqué meurt le 23 janvier 1843 ; six jours après, sa femme donne naissance à son second fils ...
Fournel, à la fin de son séjour en juillet 1853, se marie avec Marie Pauline Eyrich, âgée de 23 ans, née à Schlawe en Poméranie. rentre en France, et devient professeur d'allemand à Orléans, puis à Tournon.
Je peux ajouter encore , dans la série des ''liens'' ..., que La Motte-Fouqué avait une amie, une muse ... La princesse Marianne de Prusse (1785-1846), qui est la grand-mère du roi Louis II de Bavière...
'' Ondine'' de Friedrich de La Motte-Fouqué a eu un succès immédiat, louée par Goethe, Heine, Hoffmann...
Dans une série de contes comme La Légende de Henno ( avec une femme-dragon), la légende de Diego Lopez ( avec une femme d'origine inconnue qui ne supporte pas le signe de croix...) la légende de Peter von Stauffenberg ( belle femme inconnue qui ne peut se marier ...), nous retrouvons comme dans Mélusine, le thème de la double apparence, et l'union rompue par un interdit, celui d'une certaine connaissance... On sent que l'on a voulu marquer du sceau infernal, des figures de séduction païenne liées à la nature, à l'éros, et au féminin ...
On peut encore aller un peu plus loin ... Avec quelques commentaires que j'emprunte à Christine Planté - Professeure émérite de littérature française du XIXe siècle - Université Lumière - Lyon 2
Pour l'homme, la femme constitue l'Autre, au point qu'à leurs yeux il n'est pas de différenciation ... Ainsi Ondine, parmi les ondines ... "chaque Ondine est l'Ondine - chaque femme La Femme ? - ce qui suffit à la définir... " Une femme exclut l'autre par sa nature, car on exige de chacune d'elles ce qu'il incombe à son sexe tout entier de donner. Il n'en est pas ainsi des hommes " (Goethe, Les Affinités électives). La réécriture du mythe par Giraudoux va accentuer l'identification d'Ondine à l'éternel féminin...
Ondine, dans les eaux comme sur terre, est soumise aux vouloirs des hommes. Ondine attend tout de l'amour ...
Dans la recherche de l'union avec l'autre, l'individualité de la femme se trouve menacée, et non constituée - autre façon de se perdre. C'est le sens que Marina Tsvetaeva ( poétesse russe, 1892-1941) donne au destin d'Ondine lorsqu'elle parle, dans une lettre d'amour, de sa propre soif, " avant [elle] née, la soif la plus secrète de tout [son] être, scellée comme l'eau du puits par la pierre de Ringstetten pour qu'Ondine ne puisse pas retourner chez elle - se retrouver ".
Tsvetaeva refuse : " Devenir un être humain par le biais du mariage ou de l'amour -par le biais de l'autre - et nécessairement d'un homme - n'a aucune valeur pour moi... Autrement, si c'est ainsi que l'on devient un être humain, c'est que l'on est une espèce de demi-créature, une ombre léthéenne impatiente de prendre chair et sang. "
Arthur_Rackham_1909_UndineBertalda, - éprise de sa propre beauté, pleine de vanité sociale et séductrice sans scrupules- est dès le commencement soucieuse de paraître et victime des apparences, attirée par les surfaces et par les images brillantes, cède à la fascination de l'eau-miroir.
Huldbrand meurt - dans la culpabilité - d'avoir trahi et renié, avec sa femme Ondine, la fidélité à sa parole et une part de lui-même...
Ce qui fait la vérité de la fable ďOndine et son pouvoir de fascination ; c'est l'amour malheureux, la distance, voire la rupture.
Ondine et sa fable sont nées du cerveau et du désir de l'homme. C'est lui qui pose que, pour la femme, il n'est d'individuation que par l'amour, d'accès à la pleine humanité que par sa propre médiation. Wagner, qui aimait le conte de Fouqué, proposait une formulation exemplaire de cette thèse dans un chapitre de Opéra et Drame intitulé : " La musique est femme " :
" La nature de la femme est l'amour [...] La femme n'atteint sa pleine individualité qu'au moment de l'abandon. C'est l'Ondine du fleuve qui passe en murmurant à travers les vagues de son élément, sans âme, jusqu'à ce que l'amour d'un homme lui donne une âme. "
Si l'union fusionnelle signifie la paix, mais, au moins pour un des deux amants, elle signifie la mort, abolition la plus simple des différences. Dans la littérature du XIXe siècle, où l'homme demeure le sujet de référence, cet effacement est presque toujours celui de la femme, se cherchant, dit Vigny, " au miroir d'une autre âme ".
Cela ne peut plus s'entendre... " Qu'on m'aime moi, et non l'être idéal et faux, issu de l'imagination de ce poète.. " disait Marina Tsvetaeva
Jean Giraudoux exprime dans sa version une certaine balourdise masculine, qui prend la forme d'un désarroi et d'un ressentiment moins subtils, malgré la dérision affichée par l'auteur : " Cela va s'appeler Ondine, ce conte où j'apparais çà et là comme un grand niais, bête comme un homme. Il s'agit bien de moi dans cette histoire !... "
Chez Fouqué, Huldbrand meurt dans les bras d'Ondine, " tremblant d'amour et de la proximité de la mort ".
Dans son enlacement et ses baisers, Ondine apporte à la fois la conciliation et la fin. Nous savons que la mort d'Huldbrand est acceptée, désirée peut-être. Il renoue, dans cet embrassement, avec une part de lui-même et d'humanité sans laquelle la vie lui serait devenue insupportable aux côtés de Bertalda.
Il y a réparation et rédemption d'Huldbrand : c'est Ondine, cette fois, qui le rend à la pleine humanité, et lui rappelle qu'il a une âme et une conscience. La reconnaissance et l'acceptation de sa propre faiblesse apportent le soulagement et la délivrance au dominateur. " Christine Planté
Ondine, Mélusine, et leurs soeurs apparaissent comme des victimes; alors qu'elles auraient pu apporter bonheur, prospérité... elles sont rejetées dans le monde figé de l'éternité: qu'il s'appelle paradis ou Avalon... Et finalement '' Château du Graal '' ( après que soit achevée la Quête ...)
Ce qui nous amène à une figure similaire et masculine: Lohengrin , en son château du Graal...
Pour Lohengrin, l'animal ( monstre pour Mélusine ...) est le cygne, compagnon symbolique de l'homme-fée.... Mélusine et Lohengrin, sont aussi des figures historiques, témoins des relations - au Moyen-âge - entre la religion et le paganisme...
A suivre: ... Lohengrin - le chevalier au Cygne: