[HEURES DOUCES D'UN APRÈS-MIDI D'ÉTÉ]
H eures douces d'un après-midi d'été.
Vaste demeure traversée de cloisons.
À l'ombre du tilleul la mère somnole,
enveloppée dans ses laines.
À ses pieds l'enfant joue.
Dans un coin sa poupée, une jambe
déboîtée.
À peine une ombre jetée au soleil.
Pour ne pas m'enliser dans l'été j/e vagabonde, de bâtisse en bâtisse,
dans les chambres des gens, dans leurs vies et leurs têtes.
Mais toujours revient cet immense problème des limites.
(C'est la partie la plus difficultueuse de l'équation, il me faut bien l'admettre.)
Car gérer autant d'intérieurs a de fâcheuses implications : impossible de les organiser sans que rien ne sorte de la toile.
Habilement j/e corrige quelques angles, vérifie quelques nœuds.
Mais les pensées, c'est comme des photons lumineux, elles n'en font qu'à leur tête, leurs pupilles sont plus excitées que des électrons et leurs noyaux battent comme des portes.
Quelquefois un mot grossier, échappé d'une bouche, me cingle.
Un mot mort, presque mort mais qui entaille la longue veille.
Celle des gamines désarmées aux rubans mal noués.
Celle des brûleurs de lois aussi.
À la peau aussi lâche qu'une prière susurrée en bouche molle.
Tout ventre de fille ébréché est un pays envahi.
Isabelle Alentour,
Louise, Éditions LansKine, 2019, pp. 20-22.