D ans son dernier recueil au titre nostalgique, Comme une promesse abandonnée, Mireille Fargier-Caruso s'interroge sur les désillusions et le désenchantement d'une génération habitée par " le désir fou de vivre " qui s'opposait à toutes les oppressions, qu'elles fussent exercées au nom du socialisme totalitaire ou dans la sphère du libéralisme déshumanisé. Si sa poésie se défend de tout didactisme, l'auteure ne se tient pas à l'écart et pose un regard inquiet sur " l'avenir ceinturé " de " notre espèce en débâcle ". Après avoir rêvé de s'accorder au monde, elle tente de goûter encore le chant du " merle moqueur ", de combler le manque en recueillant toujours précieusement " le pollen d'une histoire perdue ".
Si la foi de l'auteure en l'homme s'obstine à perdurer afin que vivre ait encore un sens, elle admet que pour elle " le ciel s'est tu depuis longtemps ". Elle oppose au pessimisme ambiant l'optimisme gramscien de la volonté et de l'action : " la vie se gagne ". Surtout, la vigueur régénératrice de l'amour la porte encore :
" tous les soupirs des lits défaits
de la tendresse à nos genoux
cela nous rend plus fort ".
Sans nier les fragilités du corps vieillissant qui rendent plus vulnérable, épuisent l'énergie vitale. L'écriture à la fois nerveuse, elliptique, rend compte de cette tension physique et morale qui s'exacerbe :
" un jour le corps
trahit notre confiance
l'innommé nous déborde ".
Le couperet de l'âge n'épargne personne. L'urgence du poème le crie sans épanchement, presque froidement :
" pas de compte à rebours de sursis
au bout de l'allée si courte
quelques pelletées dessus
définitif ".
Jusqu'au vertige du néant, rendu perceptible par le raccourci d'une antithèse abrupte : " le rien est là si plein ". La poésie de Mireille Fargier-Caruso est d'autant plus expressive qu'elle ne dilue ni l'émotion ni l'angoisse existentielle, elle cristallise le sens, avec une économie d'images volontiers paradoxales, sans intention rhétorique :
" très tôt on entend le silence
comme réponse à nos questions
on sait l'horizon troué ".
La violence du monde, " les massacres à côté de nous ", la multiplication des laissés-pour-compte, les cadavres d'enfants rejetés sur les plages, l'injustice grandissante, tous les saccages indignes résonnent dans le poème comme le gong d'une défaite des idéaux perdus ou dévoyés :
" les écrasés
les enlisés
les en retrait
les minuscules
l'insensibilité indispensable qui dissout l'inacceptable
ranger ses émotions
ravage ".
Mais l'auteure se refuse au renoncement, l'espérance du poème frémit encore :
" vomir toute la souffrance
un jour il faudra bien
pour pouvoir dire ensemble
la vie est à nous ".
Les utopies évanouies cependant reviennent en mémoire. Elles étaient tellement fortes, tellement fédératrices :
" on avait cru que le Nord et le Sud
se partageraient le soleil
on avait chassé l'au-delà
par plus tard
on voulait tellement croire
l'espoir rebondit toujours ".
Le consumérisme orchestré, le formatage des esprits continuent de nous déshumaniser : " devenir n'est pas l'avenir ". Une dérision inquiète traverse la fin du recueil ponctuée d'un vers récurrent résumant le décervelage de masse : " du pain des jeux et stéréo ". Et demain ?
Loin de tout nihilisme, Mireille Fargier-Caruso continue de porter haut " l'émotion / des foules solidaires ". Sa poésie élague le passé des " jours abîmés / tous les chemins où Poucet s'est perdu ". Et de l'enfance retrouvée aux " lendemains qui déchantent ", l'auteure garde les yeux ouverts, sans illusion :
" demain sera meilleur
bien sûr on veut y croire
l'étoile du berger en repère
on en oublierait presque
on vit moins longtemps que nos rêves
[...]
resteront ''les voix écrites''
des étoiles dans les yeux des enfants ".
Et de citer Nietzsche à la toute fin du recueil : " Nous avons l'art pour ne point mourir de la vérité. "
Michel Ménaché
pour Terres de femmes
D.R. Texte Michel Ménaché