[CETTE FOIS NOUS PARVENONS À TRAVAILLER]
Ph. angèlepaoli
Cette fois nous parvenons à travailler
Enfin. Je vois ton cœur rouge pendu
À ton cou comme un collier
De sang un caillot mais tu t’obstines
À travailler. Tu m’envoies mot à mot
Des morceaux de ton diplôme par mails.
Je les corrige. Te les renvoie. Je les recorrige.
Bras de fer avec chaque lettre.
Les mots te manquent.
Les mots me manquent.
Ensemble nous trouvons les mots ensemble.
Toi affamée de mots
Français. Affamée.
Tous les mois tu prends le bus tintinnabulant
De Nice pour venir me voir Shéhé
À l’université de Strasbourg et travailler avec moi.
Tu viens toujours avec un cadeau.
Pour rien au monde tu ne viendrais sans
Cadeau. Ta fierté orientale. Farouche.
Un jour tu m’offres une peinture.
Tu me dis : « C’est ma maison
En Syrie. Ma maison à moi Shéhé
Vous comprenez ? » Une autre fois
Tu me fais connaître les poèmes
De Maram al-Masri.
Nous travaillons à l’unisson.
Bouchée par bouchée fille venue
D’enfer je te fais aimer Duras
Sarraute Ernaux. Tu me fais
Aimer Hala Kodmani.
Livres ouvrent les murs.
Nous luttons mot par mot.
Toi sur les échasses rouges sang de l’Histoire.
Toi femme-saxifrage.
Mais le jour de la délibération
(« Et mon grand-père a un âne »)
Mes collègues comprennent-ils
(Shéhé Hors Shéhé)
Que ton diplôme est un cri ?
Un mémoire sans rien
De commun avec ceux
Des étudiants qui n’ont pas bu
Le noir de l’Histoire ? Qui n’ont pas
Porté L’Ange de l’Histoire
Sur leur épaule ? Ton diplôme :
Un mémoire écrit avec ton sang.
Un diplôme pour « sortir du noir » dis-tu.
Un ovni conquis de haute lutte
Commune. Toi et moi : Ensemble.
Toi et moi psalmodions en chœur :
« Et mon grand-père a un âne ».
Michèle Finck, Poésie Shéhé Résistance, 10, Fragments pour voix, éditions Le Ballet Royal, collection du Grand Ballet, 2019, pp. 27-28.
MICHÈLE FINCK
Image, G.AdC
■ Michèle Finck
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