Tout à l'heure, en faisant le tri dans le bazar de mon placard, je suis tombée sur une photo de lui. C'était l'été dernier. Il y a un an tout juste. Cela devait être la seule qui me restait. Je l'ai regardée, longuement. Le ciel bleu, son sourire... Je l'ai déchirée et mise à la poubelle. Au milieu de mes cartons, je me suis revue, pendant les vacances de la Toussaint. A tout déballer, à admirer la vue, à ne pas croire en ma chance, à m'exclamer que cet appartement serait pour nous une nouvelle vie... C'était il y a peu de temps, au fond. Les choses peuvent changer si vite... Je l'ai revu lui, en train de me construire ma bibliothèque, mon étagère à CD. Je l'ai revu rigoler parce que je n'arrivais pas à monter ma table I**A, je me suis revue moi revenir triomphalement parce que finalement, j'y étais parvenue, toute seule comme une grande, avec mes petites mains. On était descendu manger un sandwich en ville, j'avais l'impression de mener une vie de bohème, persuadée que le meilleur était devant nous... Ca, c'était le côté merveilleux... Moins drôle, je l'ai revu aussi faire la gueule parce qu'il n'y avait pas de place de parking, et gueuler après le simple vitrage. Il allait me faire payer un peu tous les jours le choix de cet appartement... Ca, c'était le côté nettement moins merveilleux. Alors effectivement, j'ai déchiré et jeté la photo.
Ce déménagement, je l'attends avec impatience. Je n'aurai aucun souvenir avec lui dans le nouvel appartement que j'ai trouvé dans la ville de L... Appartement qui, d'ailleurs, comme c'est amusant, a parking et double vitrage... Je pourrai me balader en centre-ville sans me dire "Tiens, c'est dans ce magasin que nous avions trouvé ses baskets", ni soupirer en passant devant le cinéma. Bien sûr, la ville de L., ce n'est pas très folichon : 20 % de chômage, beaucoup de personnes âgées, des bâtiments tristes, tristes, tristes... Mais là-bas, au moins, je ne craindrai pas de le croiser et ça, c'est inestimable. J'ai besoin d'un endroit où rien ne me rappelera sa présence, ni notre premier baiser, ni notre première fois, ni nos premières balades ensemble, ni rien qui lui ressemble, de près ou de loin. Je sais que je ne risque pas de le voir là-bas. Et c'est très bien ainsi. Parce que je fuis, et fuierai, toute occasion où nos chemins seraient susceptibles de se croiser à nouveau.
Cette nouvelle vie va m'aider. Je l'aborde en toute confiance car personne ne me connaîtra, et personne ne le connaîtra lui. Il n'y aura que moi. Moi, libre de me faire apprécier, libre de plaire, car je sais, grâce à une certaine personne que je remercie intérieurement tous les jours, que j'en suis capable. Grâce à lui, je me regarde autrement dans le miroir. Et j'évite de m'apesantir. Et je trace ma route. Ce qui fait que maintenant, quand je fais mes cartons, je ne pense plus à ces vacances de la Toussaint où j'arrivais, toute fraîche et pleine d'espoir, enthousiaste, fière de vivre ce nouvel élan avec lui. Non, je pense à sa tête de six pieds de long : "Yaaa pas de parkiiiiiing !" et à ses jérémiades : "Yaaaaaaaaaaa pas de double vitraaaaaaage !". Je pense à tous mes amis, à mes proches, qui avaient trouvé cet appartement absolument magnifique. Et à lui, aveugle, obsédé par les inconvénients, au point de me faire la gueule. Et plus j'y pense, plus je me dis qu'il ne devait déjà plus m'aimer beaucoup à l'époque pour rester bloqué là-dessus. Il aurait pu savourer cette nouvelle étape avec moi. Mais non. Il était déjà ailleurs. Au fond, j'étais déjà seule à l'époque... Sauf qu'aujourd'hui, c'est officiel.