« On n’est pas d’un pays, mais on est d’une ville. » a chanté le poète. Moi, je sais que je suis viscéralement attaché à ma ville. C’est là que j’ai laissé mon enfance, là bas que mon insouciance est restée, mon innocence aussi. Là bas que j’aime retrouver ces doux souvenirs, ces jeux dans les rues, les copains surtout … surtout ceux partis trop tôt.
Cela explique pourquoi je me sens totalement étranger eu patriotisme, au nationalisme. Voilà pourquoi, je ne défilerai sans doute jamais derrière un drapeau. Moi, la seule chose que je sais , c’est que je suis un gamin d’Algrange, c’est tout. Ca me suffit.
Mais je m’égare là, ne m’encouragez pas dans cette direction .. je vais encore me faire des amis. Je vais encore me faire insulter par des nilvangeois ou des knutangeois. Pire, même dans Algrange, on va me dire que tous les quartiers ne se valent pas …
Bref, tout ça pour dire quoi au fait ? Voilà que j’ai déjà perdu le fil de là où je voulais aller. Que c’est handicapant d’avoir un esprit aussi vagabond et volage que le mien, incapable de rester concentré plus de trois lignes. Je me détourne de mon sujet au premier cul qui passe. Là, une jupe flotte au loin et me voilà déjà à rêver à ce que cache cette soie légère ; des dessous coquins ? … je vous jure que c’est fatigant, je me fatigue. C’est grave docteur ?
Ah oui, ça me revient, bien que profondément attaché à mon berceau de fer, à ma ville où les quatre mines ont laissé des souvenirs en forme de cicatrices dans les familles où la silicose et le grisou faisaient trembler femmes et enfants. Donc, bien que profondément amoureux de mes racines, j’ai découvert un endroit magique, un lieu unique, un pays où il fait bon vivre.
On découvre souvent une ville au hasard, on y retourne par amour.
C’était il y a quatre ou cinq ans, je ne sais plus très bien, mes tribulations estivales m’avaient alors amené au cœur du Luberon, à cheval entre le Vaucluse et les Alpes de Haute Provence, au milieu des champs de lavande.
J’ai posé mes valises là, à Banon exactement.
Banon, son fromage de chèvre, véritable gourmandise, petit trésor délicatement enveloppé de feuilles de châtaigniers. Cette petite tome de chèvre s’effeuille comme une jeune fille. De la pointe de l’opinel, tu écartes délicatement les feuilles et là tu découvres un fromage nu, crémeux à la pate moelleuse, qui s’offre à toi, prêt à être dégusté avec envie et amour. Tu sais comme les choses de la baise et de la bouffe sont similaires. Tiens, je te file un conseil, c’est gratuit, c’est la maison qui offre, non ne me remercie pas, je le fais parce que je t’aime, tu le sais bien, alors écoute et note :
Si ta ou ton partenaire dévore à pleines bouchées ce fromage, si il se délecte de ce doux fumet, si il sourit lorsqu’il l’a en bouche, si le verre de vin blanc qui accompagne cette orgie est vidé avec panache, c’est bingo mec, je peux t’assurer que tu ne vas pas t’ennuyer tout à l’heure. Tu m’en diras des nouvelles. (en privé s’il te plait, cela n’intéresse pas les curieux qui nous lisent du coin de l’œil).
Mais, il n’y a pas que cela à Banon, non … il y a tellement de raisons d’y revenir, de vouloir y rester.
Je peux te parler de cette librairie magnifique, « Le Bleuet », nichée au cœur du village, dans laquelle il est bon de se perdre dans les étages, les couloirs, dans la fraicheur du jardin intérieur. Cette librairie où des milliers de livres vivent à l’écart de ce monde de fou, loin d’Amazon, loi des Fnac, loin de cette culture préfabriquée. Ici, Giono est forcément à l’honneur, c’est le gars du pays, le local, mais il y a encore moults trésors cachés, à toi de les trouver. Tu montes à Banon, tu tombes nez à nez avec Le Bleuet, tu bois un pastis au bar juste en face, tu attends le moment opportun, ici faut prendre son temps, on ne cours pas, on apprécie, on contemple.
Ici, tout porte à l’oisiveté. Le matin calme, avant que le soleil ne vienne brûler cette terre aride, les parfums délicats de la lavande viennent te rappeler comme il doit être bon d’être un bourdon pour y butiner tranquillement, sauter d’un brin à l’autre. Ici, les abeilles travaillent plus que les hommes, elles travaillent pour les hommes et nous offrent un miel délicieux, fin, puissant et fruité.
Ici, lorsque tu veux aller te balader au célèbre marché de Forcalquier, tu prends ton auto, tu déambules à un train de sénateur au milieu des collines. Ici, pas besoin de mettre de radar, tu te promènes. Et félicité absolue, ici pas de ronds-points et surtout pas feux rouges. Je déteste les feux rouges. Je déteste qu’on m’oblige à m’arrêter si j’en ai pas envie. Le feux rouge, c’est le début de la dictature, c’est la privation de liberté. J’angoisse à la vue d’un feu tricolore, c’est vert, tu peux passer, c’est rouge, tu passes pas. Et l’orange, on sait jamais quoi faire à l’orange, c’est ni vert, ni rouge, c’est une couleur bâtarde. Alors, on passe ou pas à l’orange ? Tu vois bien le dilemme … je sais pas qui c’est l’enfoiré qui a inventé un tel truc, mais c’est un malade, c’est sûr. En tout cas, moi il me fait du mal ce con.
Autre chose encore, ici, à Banon, pas d’immeubles inutiles et moches, pas de centres commerciaux immenses. Ici, aucune trace de ces temples voués à la consommation excessive et imbécile.
T’imagine un peu mon bonheur alors, ma joie de profiter de cet endroit magique.
Mais ne le répétez pas trop, je ne voudrais pas que des hordes de touristes à sandales et tartinés de crèmes solaire viennent troubler ma quiétude. Qu’ils restent sur la côte d’usure ces cons, entassés sur leurs plages bondées. Qu’ils trempent leurs gros culs graisseux dans cette eau polluée sans se soucier un seul instant qu’à quelques kilomètres de là, des centaines d’enfants et de femmes finissent noyés au fond de l’eau, pour avoir juste voulu rejoindre l’Europe, fuyant la misère et la mort.
Cette année, j’ai donc décidé de retourner à Banon, vérifier si mon coup de foudre était toujours présent.
J ‘y suis donc retourné par amour. Les amours de vacances survivent rarement à la fin de l’été.
Ben moi, je peux te dire que celui ci était encore plus intense. J’y ai retrouvé les mêmes sensations, encore plus intenses.
Maintenant, je sais que c’est là bas que je dois aller, je m’y sens bien. Jamais, la connexion avec l’environnement n’a été aussi forte.
Chaque chose à sa place. Je pense avoir trouvé la mienne, j’ai du bol hein ?
Voilà, pis c’est tout.