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Villégiature à Suresnes... -1/5-

Publié le 09 août 2019 par Perceval

En cinq articles, je vous propose une ''récréation estivale'', avec ce récit extravagant, drôle, et typique - dans un milieu d'écrivains qui n'ont pas froid au yeux - d'une ''Belle Epoque'' plus vraie que nature ...

Villégiature à Suresnes... -1/5-

Ce texte qui suit, est l'un des extraits recopiés par Anne-Laure de Sallembier, qui proviendrait d'un manuscrit ou d'anecdotes qui lui auraient été rapportées... Des ''gens de lettres '' pourraient se reconnaître … dit-elle : aussi, les noms, ont été modifiés, pour n'offenser personne....

Pour faciliter la lecture de ces extraits, je présente quelques uns des protagonistes de ce récit '' à clés '', puisqu’ils font allusions à des personnalités connues ...

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- Madame Truphot, ( qualifiée par le narrateur de '' la Truphot'' ou même de ''vieille femme''; son amant - Siemans - étant bien plus jeune qu'elle... ; à l'inverse du couple Laurent )... Le gros Siemans, est un Belge à la face poupine, qui rêve d'épouser '' la vieille'' …  « Il avait gagné sa fortune à écrire des partitions avec son beau-frère, le compositeur—car sa sœur avait épousé un vague maëstro roumain qui pastichait Wagner et intriguait pour accéder à l’Opéra-Comique. »

- Marie-Louise Laurent, ou Madame Laurent, nommée ici parfois ''la femme de l'auteur dramatique''...

- Jules H. ou ''gendelettre'' : il « avait débuté dans les lettres par un livre qu’il avait intitulé: Drames dans la Pénombre. Sa prose chassieuse et la molle pétarade de ses métaphores ataxiques y faisaient sommation à la Vie, aux Êtres, aux Choses, à l’Univers lui-même, de livrer, sur l’heure, l’atroce mystère de leur Absolu, non moins que l’incognescible de leurs Futurs et de leurs Au-delà. Il est inutile d’ajouter que tout ce qui vient d’être énuméré n’avait rien révélé du tout, hormis la seule inanité de l’auteur. »

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Jules H. écrivain ''en peine'', est un habitué du cénacle de Madame Truphot, rue de Fleurus, qui, « deux fois par semaine, traitait des peintres, des orateurs, des gens de lettres et toutes sortes d’autres phénomènes. Peut-être de ce côté-là, y avait-il quelque chose à espérer. L’événement imprévu, la circonstance fortuite qui le tirerait d’affaire pouvait se produire dans ce milieu. Cependant il ne spéculait sur rien de précis, n’arrivait pas à fixer ni même à formuler son espoir. Enfin, il se tiendrait aux aguets de la moindre conjoncture. On verrait bien. Et il se représentait la femme, repassait son curriculum. »

Jules « était décidé; il coucherait avec la Truphot au premier soir. Ah! certes, ce n’était pas par débordement libidineux qu’il consentait à la chose; on ne pouvait pas espérer de la veuve des nuits dignes de l’antique Babylone, mais enfin, cela serait toujours plus rémunérateur que la littérature. Ainsi, il gagnerait loyalement la pension qu’elle lui avait fait entrevoir et qu’il ne pouvait plus espérer, puisqu’il avait raté Madame Laurent. D’ailleurs, s’il parvenait à supplanter Siemans, sa situation serait assise pour toujours, car il irait jusqu’à épouser la veuve s’il le fallait. »

- Le Comte de Fourcamadan, « comte indiscutable à son dire et irréfragablement apparenté, nous devons le croire, aux plus augustes familles et même à un duc de l’Académie, qui trouvait le moyen de notifier à la société son lustre indéniable d’ancien lieutenant de vaisseau. Chaque mortel, en effet, après deux minutes de conversation avec ce fils des croisés, ne pouvait plus ignorer que, sorti du Borda, il avait été promu, au bout de quelques années, à la dignité d’aide de camp de l’amiral Aube, mais qu’il lui avait fallu briser sa carrière et quitter la marine à la suite d’un duel retentissant avec le prince Murat. » (…)

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« Sans un décime d’avoir personnel, d’ailleurs, après une vie affreuse de bohème, après avoir été courtier au service d’un marchand de papiers peints, après avoir vendu dans Paris aux mercières désassorties des boîtes de carton pour leurs rubans ou leurs collections de boutons de culotte, il avait fini par épouser, à Béziers, la dernière descendante d’une lignée de négociants en graines oléagineuses, qu’avait esbrouffée le titre de comte dont il se réclamait.

- J’ai épousé ma cousine, disait-il à tous venants. Ma cousine qui est par les Montlignon et les Boisrobert.... une brave fille et qui ne crache pas dessus.... achevait-il, avec un sourire égrillard et une claque sur l’épaule de l’interlocuteur, car M. de Fourcamadan, désireux de rénover les meilleures traditions aristocratiques, estimait congru d’initier le prochain au tempérament de sa conjointe. »

- « Andoche Sarigue, un grand garçon sec et blond, au nonchaloir affecté... » : « Un matin du printemps de 1890, on l’avait trouvé dans la chambre à coucher d’une villa du littoral algérien, la joue éraflée d’une égratignure, faisant de son mieux pour répandre des hémorrhagies apitoyantes et copieuses, et simulant des râles d’agonie près du cadavre de la femme d’un protestant notable de l’endroit, réputée jusque-là pour son rigorisme et son horreur des illégitimes fornications. L’épouse du momier, d’une beauté péremptoire quoique déjà aoûtée, avantagée par surcroît d’une fortune impressionnante, avait le front fracassé d’une balle et, préalablement à la minute où elle fut décervelée par Andoche Sarigue, elle avait répudié ses derniers linges: ce qui est un sacrifice conséquent, comme on sait, pour les personnes conseillées par Calvin. De ce dernier fait, l’assassin argua la passion, la frénésie sentimentale et charnelle qui peuvent, à la rigueur, précipiter dans ce que le bourgeois appelle l’inconduite, les mères de famille jusque là placides et que la quarantaine semble avoir mises hors l’amour. ( ….) Il avait expliqué que les voluptés cardiaques ou génésiques n’étaient pas suffisantes pour le couple sublime qu’ils formaient tous deux; qu’ils avaient décidé d’y surajouter celle de la mort, que la conjonction dans le néant avait été résolue d’une commune entente, mais qu’après avoir tué froidement la malheureuse, la Fatalité avait voulu qu’il se manquât, à la minute suprême.

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Ah! il ne s’était pas fait grand mal; il ne s’était pas dangereusement blessé, lui. Non, le revolver s’était senti sans entrain pour saccager une peau d’amant aussi reluisante, et, c’est à peine, si au lieu de cervelle—en admettant qu’il en possédât une—il s’était fait sauter quelques poils de la moustache. Il avait fait cinq ans de bagne sur les huit qui lui furent octroyés et, maintenant, il cuvait son désespoir et promenait son âme inconsolablement endeuillée (…) Très couru d’ailleurs, il était l’amant inquiétant et trouble, le survivant tragique d’une épopée de traversin, et il procurait le frisson romantique dans le XVIIIe arrondissement et les alcoves mieux famées où l’épiderme sans imprévu des agents de change est devenu insupportable. Un grand journal du matin s’était même attaché sa collaboration et, plusieurs fois par semaine, ce cabot de l’assassinat passionnel, plus vil et plus lâche, certes, que le dernier des chourineurs, car il avait histrionné dans le suicide et dupé sa maîtresse avec les contorsions d’un Hernani de sous-préfecture, ce grimacier algérien notifiait la Beauté et l’Amour à deux cent mille individus. »

- Modeste Glaviot, est l'un des invités ordinaires de madame Truphot, - célèbre auteur des Merdiloques du déshérité - il peut débiter, sur les onze heures, un monologue inédit, au Cabaret des Nyctalopes, rue Champollion... Le narrateur, ici, le nomme ''le pître'' sensationnel ou le ''grimacier'' ; pour lui toutes les femmes minaudent, en des poses avantageuses, dans l’espoir d’être chacune remarquées...

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« Modeste Glaviot est grand, très grand, avec un teint de panari pas mûr et une tête élégiaque de Pranzini sans ouvrage. » « Ce sordide grimacier des plus basses farces atellanes avait vécu longtemps dans les milieux réfractaires, et, un beau jour, la tentation lui était venue de jaculer, lui aussi, une déjection nouvelle sur la face du Pauvre, du Grelottant et de l’Affamé, sur lequel il est de mode aujourd’hui, pour les pires requins, d’essuyer avec attendrissement les mucilages de leur nageoire caudale. La chose a été inventée, jadis, par Jean Richepin, qui chanta «les Gueux» et qui riche depuis, pourvu de tout ce que l’aise bourgeoise peut conférer d’abjection à l’artiste parvenu, fit condamner, il n’y a pas deux ans, un malheureux chemineau qui s’était hasardé à éprouver la sincérité du Maître en cambriolant son poulailler. Six mois de prison enseignèrent à ce pauvre diable qu’on peut chanter, en alexandrins monnayables, la liberté farouche, la flibuste pittoresque et les menues rapines des outlaws et trouver intolérables ces sortes de comportements lorsqu’il leur arrive d’attenter à une personnelle propriété acquise à force de génie. »

Par exemple, je peux révéler, que Jehan Rictus (1867-1933) s'est ici reconnu : poète français, célèbre pour ses œuvres composées dans la langue du peuple du Paris de son époque ; tel Les Soliloques du Pauvre...

Villégiature à Suresnes... -1/5-
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Extraits : ..« (…)

Entrée en matière … à Paris, dans le salon de Madame Truphot.

Madame Truphot, débarrassée du mari, avait réalisé un rêve longtemps caressé. Elle avait ouvert un salon littéraire. Le symbolisme alors battait son plein... (…)

Madame Truphot fut donc préraphaélite ardemment.  (…)

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Après quelque résistance, le Sar Péladan, coiffé d’une brassée de copeaux à la sépia, d’une bottelée de paille de fer, le Sar Péladan, lui-même, finit par céder et, pendant une année, honora son logis de ses pellicules et de ses oreilles en forme d’ailes d’engoulevent. Grâce à ses bons soins, la veuve fut, sur l’heure, immatriculée dans la religion de la Beauté et n’ignora plus tout ce que le Saint Jean du Vinci ou la sodomie vénale dérobe aux profanes de splendeurs cachées.

Son argent et sa personne furent, longtemps, l’âme du salon des Rose-Croix où elle figura sous les apparences d’une Salomé maigre;

(...)

A cet endroit de son discours, la Truphot se levait et, s’emparant délibérément du bras de Jules H., elle le forçait à arpenter la pièce à son côté, puis volubile:

- Mon petit, j’ai décidé que vous seriez l’amant de Madame Laurent et cela, dès demain, car c’est tout simplement une indignité, Laurent a dix-huit ans de plus que sa femme qui n’en a pas vingt-cinq, elle; or, cela ne peut durer, il faut à toute force rompre une pareille union. La pauvre petite ne peut pas, ne doit pas aimer son mari. Je l’ai deviné. Or, moi, je veux que tous ceux qui m’entourent soient heureux. L’amour seul vaut de vivre n’est-ce pas? Et puis il y a des caractères qui ne savent pas vouloir: il faut les placer devant le fait accompli et aller ainsi au devant de leurs secrètes aspirations. C’est le cas de Madame Laurent, j’en suis sûre....

Un peu ahuri par cette proposition quasi-injonctive... (...)

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Oui, nous pouvons, vous et moi, réparer une grande injustice, une des pires de la vie et du Destin: libérer une jeune femme d’un homme déjà vieux. Je fais appel à votre caractère chevaleresque. D’ailleurs, vous allez passer des jours sans rancœur. Ah! mon cher! Quels yeux! quelle plastique! une gorge à déchaponner un sénateur inamovible, comme dit mon scélérat de coiffeur... Et puis, si vous réussissez, ce qui n’est pas douteux, ma maison est à vous, vous en pourrez disposer, car vous n’avez pas de garçonnière... hein? Les garnis sont coûteux et si répugnants, n’est-ce pas?...

- C’est entendu, dites, vous voulez bien?... Ah! quelle bonne odeur, quel charme cela mettra dans ma maison si triste parfois... Une odeur d’amour, la meilleure brise pour parfumer l’existence... Vous me connaissez, j’adore qu’on s’aime autour de moi... Mon Dieu! Entendre le bruit des baisers! voir des caresses! pressentir les étreintes voisines! C’est jeter un défi victorieux à la mort et c’est ne plus vieillir... Aussi, avec moi, pas de fausse honte, pas de gène ridicule. Si vous avez besoin d’argent, un signe, et je suis à votre disposition. Du reste je m’arrangerai avec Madame votre mère pour qu’à partir d’aujourd’hui vous ne lui coûtiez plus un sou...

(...)

Jules H., placé à côté de Madame Laurent, venait d’épuiser le lot de ses comparaisons favorables et de ses épithètes avantageuses. Présentement, il n’avait plus à sa disposition un seul vocable littéraire pour exprimer l’extraordinaire couleur des prunelles de sa voisine. Après l’avoir successivement confrontée à Bethsabée, à Cléopâtre, à la reine de Saba, elle-même, après s’être porté garant qu’elle ravalait, par simple comparaison, les fées Mélusine, Viviane ou Urgande, après avoir affirmé qu’elle détenait des yeux comme il devait en brasiller jadis, dans les coins d’ombre de l’Alhambra, palais des rois Maures, il restait coi, effroyablement muet, et, de la prunelle, faisait le tour de la table comme pour implorer quelque improbable et mystérieux secours. ...

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- Monsieur, je vous en prie, lui dit la femme de l’auteur dramatique, amusée de son désarroi et trop parisienne pour le laisser barboter en paix dans les marécages de sa maladive sottise; il vous reste encore les évocations stellaires, les étoiles et les météores, les soleils et les comètes. Ne me jugez-vous pas digne de ces dernières? Il y en a justement une au zénith en ce moment.

Cette pointe éberlua encore un peu plus le malheureux Jules H., qui disparut cette fois dans l’hébétude comme si un boulet de 80 l’eût tiré par les pieds. Pour toute réponse, il ouvrit et ferma convulsivement les yeux, se démena frénétiquement sur son siège, avec la grâce d’un jeune pingouin qui se serait laissé choir sur quelque hypocrite harpon. Madame Laurent, renversée au dossier de sa chaise, riait maintenant d’un rire cristallin et cruel dont les fusées railleuses perforaient le lamentable gendelettre qui, les paupières closes et la bouche pincée, s’enfonçait les ongles dans les cuisses pour se punir, sans doute, d’être à ce point idiot. Certes, il aurait dû prévoir la chose: cette femme l’impressionnait trop pour qu’il pût jamais la conquérir. 

(...)

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Mais Madame Truphot avait vu la scène et avait assisté à l’effondrement du malheureux. Elle haussa les épaules, eut une lippe de pitié. Un homme qui, en une heure, n’était pas capable de se faire agréer d’une femme n’était qu’un imbécile ou un castrat pour elle. Elle décida que, désormais, Jules H. serait réservé pour ses bonnes, puisqu’il n’était bon qu’à cela.

Et elle se frotta avec plus d’insistance à son voisin de gauche, à Sarigue, un grand garçon sec et blond, au nonchaloir affecté, qui s’efforçait de maintenir son masque au point voulu de mélancolie et de byronisme, comme il sied à un mortel sur qui pesa le Fatum, selon une expression de lui favorisée.

A suivre : ….Chez la Truphot, on ''décamérone''... !


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