Kristine McKenna, L'espace du rêve (avec David Lynch), JCLattès, 2018, p. 355.
Connaissant cette propension de Lynch à la pensée magique, je ne puis croire une seconde que le film de Blake Edwards, Experiment in Terror, n'ait pas été séminal dans la genèse de Twin Peaks. Mais, pour une raison que j'ignore, Lynch fait l'impasse aussi bien sur le film que sur son réalisateur. D'ailleurs, aucune véritable indication n'est donnée dans L'espace du rêve sur les sources d'inspiration de la série, tout au plus est-il évoqué une projection de Peyton Place, qui aurait précédé la présentation du projet à la chaîne ABC, mais la série, premier feuilleton télévisé de soirée de la télévision américaine, diffusé entre 1964 et 1969, se déroule dans une petite ville de la Nouvelle-Angleterre, un ancrage géographique bien éloigné de celui de Twin Peaks.
C'est en cherchant les occurrences de Twin Peaks que je suis tombé sur ce passage sur les plaques d'immatriculation, ce qui m'a bien amusé car on a vu (cf. Jurassic Bartt) que j'étais moi aussi depuis quelque temps affligé de la même lubie. Tenez, il faut que je vous conte les derniers développements du délire : le 30 août, j'ai repéré lors du même déplacement, et dans le même quartier, deux plaques 813. Ce nombre a déjà fait l'objet de plusieurs articles en 2018, et Rémi Schulz l'a également souvent évoqué. 813 était le nombre fétiche de François Truffaut. Dans mon petit voyage à Grenade, en février dernier, je suis d'ailleurs tombé par inadvertance, au hasard de mes flâneries, sur une exposition au Centro Cultural Gran Capitan intitulée 813, consacrée aux dessins grand format de l'artiste espagnole Paula Bonet, inspirés de l'oeuvre du cinéaste (je n'en avais pas parlé ici à l'époque, mais je savais bien qu'un jour ou l'autre, j'aurais l'occasion d'y revenir).
Il se trouve encore que depuis le 2 septembre, chaque jour j'enregistre une plaque 813. Cela fait donc quatre jours, et chaque fois, c'est à un endroit différent et avec une automobile différente. Aujourd'hui, c'était une voiture rouge entrée dans la cour de la maison voisine de celle d'Ernest Nivet, à deux pas de chez moi.
Paula Bonet - 813
Il n'y a pas que les 813 qui me donnent le tournis. Je continue à être obsédé par les numéros triples. Ainsi ai-je enregistré en fin d'après-midi, au retour du travail, un 666, suivi d'un 111 et enfin d'un 999 au pied de mon immeuble. Bon, celui-ci, de 999, je me disais que ça ne comptait pas vraiment puisque je le croise souvent, c'est manifestement la voiture d'un voisin. Sur ce, je vais chercher du pain à la boulangerie proche. Juste en sortant, voici que je croise mon 999 qui tourne devant moi rue Ernest Nivet. Sauf que ce n'est pas le même : l'autre est toujours garé à la même place.Bon, on verra demain si la vague des 813 perdure...
Ce n'est pourtant pas cette histoire de plaques que je voulais consigner ici à l'origine. Non, c'était plutôt une manière de synchronicité avec la vision du film de Blake Edwards. En effet, j'ai été saisi dès les premières images d'Experiment in Terror par la coïncidence avec le thème visuel central de la série télévisée scandinave que je suivais alors, que l'on m'avait prêtée au début de l'été mais que je n'avais commencé à regarder que fin août : The Bridge. Lee Remick, au volant de sa somptueuse américaine, traverse un des gigantesques ponts de San Francisco : c'est là-dessus que s'inscrit le générique. De même, la série se profile et s'ordonne autour du pont de l'Øresundqui relie Copenhague à la ville suédoise de Malmö (un cadavre y est retrouvé sur la frontière exacte entre les deux pays)
The Bridge (Bron-Broen en suédois-danois), générique
Le pont n'est pas le seul point commun entre le film et la série : ce sont tout d'abord deux oeuvres nocturnes. Experiment in Terror commence dans la nuit du pont constellé des lumières des phares et des lampadaires et s'achève dans la nuit du stade de base-ball ; dans The Bridge, tout est filmé en hiver où l'obscurité est reine à cause de la latitude.Enfin, le criminel est chaque fois un grand solitaire, un homme machiavélique qui agit seul, n'a en apparence aucun scrupule mais pourtant échappe à la noirceur totale : chacun des deux épargne qui, la soeur de Lee Remick, qui, les enfants du policier danois qui mène l'enquête (Kim Bodnia).
Le nom de ce policier est Martin Rohde, qui est bien proche phonétiquement de Ross Martin, l'acteur interprétant Red Lynch. Et, consultant la bio de l'acteur Kim Bodnia, je vois que sa famille est d’origine juive, en particulier de la Pologne et de la Russie, (Wikipedia se croit tenu de préciser qu'il n’est pas pratiquant). Point commun donc avec Martin Rosenblatt/Artemus Gordon.
En revanche, j'ai bien sûr jeté un coup d'oeil sur les plaques d'immatriculation des deux oeuvres, et là, je dois dire que je n'ai rien remarqué.
Et ma foi, c'était reposant.
Paula Bonet - 813, Françoise Dorléac dans La peau douce.