Magazine Journal intime

Prenez et mangez-en tous

Publié le 19 septembre 2019 par Hugo Bourque

Comme presque tous les enfants de ma génération, en deuxième année, j’ai fait ma première communion. Un grand moment pour les petits catholiques en formation que nous étions et surtout pour nos familles. C’était tout un événement. Depuis le temps que j’allais à la messe sans avoir le droit d’aller prendre la collation que le Père Lafrance nous avait apportée. En plus, ça allait nous permettre d’aller un peu nous promener dans l’église et montrer à tout le monde notre beau kitdu dimanche en allant faire la file pour aller se chercher ça. Chaque fois que le prêtre cassait son hostie en deux avant de la manger, on entendait très bien le craquement de celle-ci à travers le micro. Ça sonnait comme un gros chip Dulac… Et ça avait l’air tellement bon !

Mais je me souviens qu’avant d’y avoir droit, on devait passer à travers une série de rencontres de groupe avec le prêtre. Nous, on avait rendez-vous avec lui dans la salle du conseil municipal de L’Étang-du-Nord. Je rêvais de donner un coup avec la mailloche de notre maire, Napoléon Cormier. Mais bon, on n’était pas là pour ça… Quand on arrivait, il fallait d’abord piger un extrait d’une parole de Dieu écrite sur un petit papier de couleur en forme de pain. Plus tard dans la rencontre, on allait devoir la lire à haute voix et y réfléchir. Mais demander à un enfant de huit ans de prendre le temps de réfléchir à quelque chose, c’est comme demander à un daltonien de te passer le crayon mauve. Ça peut mal virer. Probablement que la consigne ne sera pas respectée complètement. Moi, j’avais pigé : « Prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps livré pour vous. » J’ai réfléchi. Et ça a mal viré. Je me suis : « Ah ben qu’osse qui dit là, c’te p’tit pain-là ? Un bout de corps de Jésus… de la peau qui est morte depuis une godam de traille ? Pas question que j’me mette ça dans la djeule ! »

Sinon, on écoutait des extraits de la bible, on se faisait expliquer l’importance de ce qui allait se passer avec nous, à notre première communion. Puis, un jour, le Père Lafrance nous a même fait pratiquer. C’était du sérieux. Le jour où il nous a annoncé qu’on allait faire ça, je me suis dit : « Ah ben qu’osse qui dit là, lui ? Ça doit pas être si tough que ça ? » Mais quand même, il fallait bien placer nos mains, répondre la bonne affaire. Ça a l’air facile comme ça, mais on se rappelle qu’on n’avait que huit ans, l’âge où l’on a à peu près l’attention d’un écureuil hyperactif. Donc oui, on devait pratiquer.

Au moins, j’allais enfin savoir ce que ça goûtait. Bon, oui, j’aurais pu m’en acheter un paquet chez Bourque et Montigny, mais naïvement, je me disais qu’en faisant le signe de croix au-dessus des ciboires, les curés ajoutaient une saveur à leurs hosties. Un genre de formule magique culinaire : « au nom du Père et du Fils et du BBQ, amen ». Donc au moins, ce matin-là, dans la salle municipale de L’Étang-du-Nord, j’allais goûter à la vraie affaire. Mais avant, le Père Lafrance nous a servi un avertissement sévère : IL NE FAUT JAMAIS LE DÉCOLLER DE VOTRE PALAIS AVEC VOS DOIGTS. Je vous l’écris tout en majuscule, parce que ça sonnait en majuscule dans sa bouche. D’ailleurs, pour moi, le Père Lafrance parlait toujours en lettres capitales. Même pour dire des banalités. Il ne me semblait pas être un homme qui parlait pour ne rien dire. 

Dès qu’il a eu fini de bien expliquer comment ça devait se passer, on s’est mis à la file indienne et l’on a attendu notre tour. Puis j’ai enfin reçu ma collation. J’imaginais mon chip Dulac… J’ai fermé les yeux et j’ai déposé l’hostie dans ma bouche. Quelle déception ! En plus de ne rien goûter, ça collait effectivement sur le palais. Moi, je pensais que le Père Lafrance faisait des armanasquand il nous disait « IL NE FAUT JAMAIS LE DÉCOLLER AVEC VOS DOIGTS ». Mais non. Pourtant, à partir du moment où l’hostie s’agrippait au palais, tu étais fait. Plus tu essayais de le déloger avec ta langue, plus il collait. Alors, dans toute l’illégalité de la terre, la première fois que j’ai mis une hostie dans ma bouche, je n’ai pas écouté les consignes du Père Lafrance et, en cachette, j’ai fourré mon index dans ma bouche pour prêter main-forte à ma langue. Excommuniez-moi si vous voulez, mais je ne vais pas rester avec ça collé là pour le reste de ma vie. 

Comme presque tous les enfants de ma génération, la première communion était un moment important. Assez important pour que nos parents nous achètent un nouveau kit du dimanche. Mais ce que je retiens surtout de cet événement, c’est que peu importe ce que la parole de Dieu disait sur ton petit pain de papier, armanas du Père Lafrance ou pas, une hostie, ça colle au palais. Amen !

On se r’parle !

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