Ma tantirelirelo

Publié le 05 septembre 2019 par Hugo Bourque

Quand on est petit, un château, c’est toujours beau. Ça fait rêver. Même voyager. Dans sa tête, en tout cas. On s’imagine un roi en train de défendre son royaume à l’aide d’une armée de chevaliers sans peur et sans reproche. Ils délivrent la princesse emprisonnée toute au haut de la tour de l’ennemi en combattant un dragon posté devant la porte de sa cellule. Ils redescendent le pont-levis et se sauvent avec la fille du roi bien en selle sur le dos d’un beau cheval blanc… C’est probablement pour ça que dès qu’un enfant met le pied sur une plage, sans même avoir appris comment le faire, il construit un château. C’est instinctif. Inné.

Sauf pour moi. Non, moi, mes châteaux de sable avaient plutôt l’air de l’église de Fatima… mais qui serait passée au feu. J’avais beau m’appliquer, me forcer, me concentrer. Rien à faire. J’étais meilleur pour jouer à la lettre dans le sable que pour façonner quelque chose de crédible de mes blanches mains. Mais j’essayais toujours.
Je partais avec mes petites pelles, mes sciaux et plein de bonne volonté. Je me trouvais du sable fin et je m’installais là pour l’après-midi. Tout d’abord, je creusais. Et je creusais. Et je creusais encore. Quand j’arrêtais, j’étais convaincu que j’étais proche du centre de la Terre ou même presque rendu en Chine.

Puis, j’essayais de tailler une forme de château dans la butte de sable que mon grand trou avait produit. Et c’est là que ça se gâtait. Aucun talent. D’abord, ça me prenait toujours un certain temps avant de réaliser que si tout s’écroulait, c’est parce que j’avais oublié de mettre de l’eau. Alors, je me levais, je ramassais l’un de mes sciaux,et je me rendais à la mer. Puis, j’arrosais mon château. Et j’arrosais. Et j’arrosais encore. Trop. Tellement trop que mon cachot s’effondrait et se transformait en piscine creusée. Ça finissait toujours de même.

Qu’à cela ne tienne, le reste était maintenant prêt à être sculpté. Je faisais ce que je pouvais et je passais à la décoration. Mais tout d’abord, j’allais chercher d’autre eau pour remplir à nouveau ma piscine qui s’était vidée comme par magie. Ensuite, en fouillant autour de moi, je trouvais de petites pierres blanches polies par les vagues pour faire des fenêtres et des coquillages bleutés de moules pour faire des portes. Les couteaux de mer servaient de colonnes romaines tandis que des foins de dune devenaient des drapeaux. Après tout ça, j’allais chercher de l’eau pour remplir ma piscine. Finalement, je prenais un gros bout de goémon pour faire… ah non, ça, je ne prenais jamais ça dans mes mains. Trop dégueulasse. Par contre, je me rendais encore à la mer pour chercher de l’eau pour encore remplir ma piscine. Le sable était vache ! Il passait son temps à boire l’eau de ma piscine-cachotcreusée.

J’allais ensuite me rincer les mains parce qu’elles étaient pleines de sable à force de gratter et de façonner. Puis, je revenais à mon château et je me replongeais les mains mouillées dans le sable sec… avant de retourner laver mes mains.
J’avais aussi souvent l’idée de faire un tunnel. Mais comme j’avais de la misère à faire tenir une butte, imaginez un tunnel. Je le creusais, il s’écroulait. Je le recreusais, il se reécroulait. Je le rerecreusais, il se rereécroulait. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que je réalise que ma piscine creusée avait encore été siphonnée par le sable et qu’il était temps de la remplir à nouveau.

Plus tard, quand j’avais enfin fini mon… mon église de Fatima qui est passée au feu, j’allais me baigner pour enlever tout le sable que j’avais de collé sur moi. Pas question d’en rapporter chez nous. Après, je revenais à mes affaires en marchant dans le sable sec avec mes pieds mouillés… Et comme j’ai toujours été plutôt petit, mes fesses ont toujours été plutôt proches de mes pieds. Chaque pas ramenait du sable se coller dans mon bas de dos. Alors, non seulement mon château n’était pas beau, matantirelirelire, mais je revenais chez nous avec la craque de sagesse remplie de sable, ma tantirelirelo. Un flop.
Encore cette année, des dizaines de milliers de personnes se sont rendues sur la plage du Sandy Hook pour voir des gens meilleurs que moi, j’espère, fabriquer de magnifiques châteaux de sable. Ce jour-là, on a creusé, creusé, et creusé. On a arrosé, on a sculpté, et l’on a décoré. On a sûrement rincé ses mains plusieurs fois. Sûrement ses pieds aussi d’ailleurs. Mais je suis convaincu que beaucoup de craques de sagesse sont retournées à la maison remplies de sable. Après, on se demandera pourquoi nos plages rapetissent. Mais bon… je dis ça et je ne dis rien.

On se r’parle !

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