D’aucuns penseront spontanément à son rejet de la guerre d’Irak : il est vrai qu’il a su faire preuve de bon sens sur ce dossier, mais il n’est pas très difficile d’être plus malin que George W. Bush. C’est pourquoi je retiendrais plutôt une mesure antérieure à cette tristement célèbre agression américaine : la fin de la conscription. La suppression du service militaire, c’était une promesse de campagne de Mitterrand en 1981, mais « Tonton » n’aurait probablement pas pu le tenir sans prendre de risques : il avait déjà passablement échaudé la grande muette en abolissant les tribunaux militaires et en écartant les armes du salon du Bourget, et s’il l’avait carrément privée de chair fraîche, elle lui aurait probablement fait connaître le même sort qu’Allende au Chili… Bref, une telle mesure ne pouvait venir que d’un homme que les militaires reconnaissaient comme un des leurs : Chirac fut cet homme. Rien ne l’obligeait à le faire, il l’a fait. Et l’armée a dû se dire que si même un ancien officier de cavalerie reconnaissait l’inutilité de la conscription, alors il valait mieux s’aligner…
Oui, je parle d’inutilité de la conscription. Inutilité d’abord pour l’armée elle-même : j’ai parfois conversé avec des marins (qui sont souvent moins cons que les autres militaires) qui ont reconnu que ça ne servait pas à grand’ chose, pour la défense du territoire, d’envoyer les jeunes perdre une année de leur vie dans une caserne vétuste en Allemagne. Mais inutilité surtout pour les conscrits : à peu près tous les hommes de la génération de mon père ont fait « leur régiment » (quel vilain mot) et m’ont bien dit que si cette expérience ne les a pas forcément traumatisés, elle ne leur a servi à rien si ce n’est à les initier à la picole – ce qui n’est absolument pas la même chose qu’apprendre à apprécier les bons vins. Et puis merde, à la fin ! Quand bien même l’armée ne serait pas de toute façon inutile et dangereuse, qui niera que c’est un bienfait d’avoir épargné à toute une génération (et même bientôt deux voire déjà trois, le temps passe vite) la boule à zéro, le réveil au son du clairon, les corvées de chiottes, le rata pourri, les blagues de chambrée, les concours de pet et les exercices débiles au rythme des aboiements d’un adjudant alcoolique (un pléonasme, excusez-moi) ?
Alors, quand je vois, aujourd’hui, des jeunes qui font le service militaire volontaire voire s’engagent carrément pour éviter le chômage et des gens de gauche qui regrettent la conscription au nom du mélange des classes sociales qu’elle permettait prétendument, je l’avoue : Jacques Chirac me manque déjà. Un tout petit peu.