Magazine Journal intime

À contre-courant

Publié le 02 octobre 2019 par Hugo Bourque

Cinq heures du matin. Il ne se passe plus grand-chose sur le quai de L’Étang-du-Nord. La pêche est finie. Les bateaux se reposent, les goélands aussi. Le bruit du silence caresse mes oreilles. Même le vent chuchote son souffle pour ne pas réveiller l’eau qui dort.

Notre-Dame de l’Assomption trône fièrement au top de la butte rocheuse, face à la maison de la surnommée « démone ». La patronne des Acadiens surveille son anse, patiente et impassible. Après tout, c’est ça, le job d’une statue ; il faut savoir rester immobile… 

Mais moi, je cours. Je cours pour me sentir en forme, pour me sentir en vie. En forme de quoi ? En vie pour qui ? Dans ma tête, ça tourne. Les souvenirs se bousculent, se rappellent et remontent en moi comme un ascenseur dans sa tour d’ivoire. 

J’ai seize ans. 

Je cherche encore qui je suis, où je vais, dans quel état j’erre. 

Je marche sur la 199 pour me rendre sur le quai de L’Étang-du-Nord. Je suis aspiré par l’odeur inspirée de vagues brisées et de marées baissantes. Mais à ce moment-là, il s’y passe des choses. Des trucks circulent, des ouéreux zieutent et des curieux creusent. Anyway, ce qu’on ne sait pas, on l’invente. Ça, tout le monde le sait… ou l’invente. Je me rends jusqu’au bout du quai et laisse mon imagination aller encore plus loin. Je me transforme en funambule qui déambule sur le fil que dessine la rencontre du ciel et de la mer. L’horizon est le terrain de jeu de mes yeux qui regardent tout au bout de mon index qui pointe vers le large. Et je suis bien. Très bien. C’est ma place. Et je le sais. Celle-là, je ne l’ai pas inventée.

Cinq heures du matin. Il ne se passe plus grand-chose sur le quai de L’Étang-du-Nord. À part moi qui cours, une fille promène son chien. À cette heure-là, c’est probablement plutôt le chien qui promène sa fille. Je les croise à l’aller, tout près du Flâneur. Je les croise au retour et puis plus rien. Sa journée est sans doute commencée, astheure. Puis je me souviens… 

J’ai vingt-quatre ans. 

À bord du bateau, je quitte qui je suis pour être mieux. Peut-être. J’espère. L’idée n’est pas de me prendre pour un autre, mais bien de devenir cet autre. Celui je ne me permettais pas d’être, celui qui souhaitait naître. Passer de l’éternel ado vivant encore chez ses parents à l’homme. L’auton’homme. Mais pour y arriver, pour me balancer, pour me trouver, il a fallu que je quitte, que je quit. Abandonner amis et parenté, mais aussi la terre qui m’a vu grandir, les buttes qui m’ont entendu débouler en riant, les plages qui m’ont chatouillé les pieds, les vagues qui m’ont bercé tant le tympan que le dedans. Un sacrifice. Un grand. L’ultime. Mettre son identité en veilleuse pour se trouver ou se retrouver. 

Cinq heures du matin. Il ne se passe plus grand-chose sur le quai de L’Étang-du-Nord. Moi, j’ai quarante ans et je cours sur la 199. Je cours après ma forme, après ma vie. Dans ma tête, les idées se bousculent, se tiraillent et se chamaillent. Des plus farfelues aux plus lucides. Repartir ou bien rester ? Revenir ou ne jamais quitter ? Mais qu’est-ce qui m’a pris de partir ? De choisir les tracas et les inquiétudes, alors que j’avais les paysages et la quiétude ? Grandir. C’est la réponse à mes questions. Pour grandir, il faut sauter hors du nid, poser le pied hors du lit. Embrasser l’incertitude, le doute. Foncer tout droit dans l’avenir en prenant d’abord le temps de replier les rétroviseurs pour être moins dans le rétro et un peu plus dans le viseur. Pour regarder en avant, voir loin et marcher. Pas courir. Marcher. Pour éviter les faux pas, les mauvais pas ou les pas de pas. Seul. Une bonne fois pour toutes. Et quand on a appris, quand on a découvert, quand on a compris, on peut enfin redéplier nos rétroviseurs pour se permettre un p’tit coup d’œil par en arrière. Ce que je fais depuis trois ans avec vous via cette chronique dans le RADAR chaque semaine. Le passé qui nous reconnecte, nous enracine et nous réhydrate le terreau fertile. 

Cinq heures du matin. Il ne se passe plus grand-chose sur le quai de L’Étang-du-Nord. La pêche est finie. Les bateaux se reposent, les goélands aussi. Mais moi, je cours. Je cours encore. Au soleil levant, à la marée baissante. Le nez en avant pour ne rien manquer. Devant Notre-Dame de l’Assomption et la démone. Et dans ma tête, un questionnement. Celui du Madelinot exporté. Celui de tout Madelinot exporté. Repartir ou bien rester ? Revenir ou ne jamais quitter ? Dans mon cas, comme pour plusieurs, c’est repartir pour mieux revenir. 

On se r’parle !

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À contre-courant

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