22h30 : La remise des prix s’est éternisée et la séance débute avec une demi-heure de retard. Ce qui n’aurait pu (dû ?) être qu’une péripétie anecdotique me fait fulminer, sous l’effet conjugué de la mauvaise fatigue accumulée au salon du livre et de la frustration due à mon relatif échec : je ne peux m’empêcher d’y voir un mépris affiché du public se rendant aux projections moins « importantes » ! C’est donc avec une humeur massacrante que j’assiste à cette projection de courts-métrages à vocation drolatique…
A ma grande surprise, le film qui me fait la plus forte impression est français et dure 18 minutes ! Pourquoi est-ce surprenant ? Parce que j’avoue avoir un apriori négatif envers les productions de plus d’un quart d’heure, surtout si elles sont made in France ! Mais là, je dois admettre que Boustifaille de Pierre Mazingarbe est une petite merveille qui sort des sentiers battus : l’histoire de cette jeune femme issue d’une famille anthropophage qui doit lutter pour éviter que ses parents ne mangent son amoureux, il fallait oser, ça change des mièvreries qu’on nous sert habituellement sous l’appellation « comédie française » ! Je pense bien sûr aux Crannibales, la bande dessinée de Fournier et Zidrou, où on trouve une situation similaire quand l’aînée de la famille Ducroc, qui drague habituellement de futurs steaks, doit elle aussi dissuader ses parents de bouffer un garçon dont elle est sincèrement amoureuse ; mais au-delà de cette réminiscence bien naturelle pour le passionné du 9ème art que je suis, il est impossible de ne pas penser aussi à Belle à croquer, le film qui avait ouvert le festival l’an passé et où il était aussi question d’anthropophagie : on y voyait un dentiste cannibale amoureux de sa voisine de palier végétarienne, coaché par un « ange des amours impossibles » interprété par… Catherine Deneuve !
Ajoutez à ça les anthropophages dont pullule la série animée Silex & the city et vous serez d’accord avec moi que ça donne à réfléchir : cette relative récurrence, dans le cinéma court français, du thème de l’anthropophagie, présentée non plus comme une barbarie mais comme une pratique suffisamment ordinaire pour que ses adeptes suscitent l’empathie, n’est-elle pas symptomatique d’une perte de repères éthiques plus radicale encore que celle dont les néo-réacs nous rebattent les oreilles ? Remarquez, ça ne date pas d’hier : Montaigne en son temps, déjà, se demandait si les peuples pratiquant l’anthropophagie étaient vraiment plus barbares que ses compatriotes « civilisés » qui s’entretuaient au nom de Dieu…
Pour revenir à la projection, cette séance « Rire sans frontières » fut globalement un bon cru : seul le film qui l’a conclue, Call me Matthew, m’a un peu déçu : cette histoire d’un Français moyen qui, après deux ans de coma, se prend pour Matthew McConaughey, aurait pu donner lieu à davantage de situations burlesques et je garde l’impression d’un film timoré, où la peur de choquer est palpable ; il est vrai qu’à côté des autres films, notamment les productions hollandaises, il faisait pâle figure en matière d’audace ! De surcroît, Jonathan Lambert qui joue le rôle principal n’est pas convaincant et me fait plus penser à un gamin qui joue à être son héros favori plutôt qu’à un vrai fou… Et puis j’aimerais bien qu’on m’explique une fois pour toute ce que McConaughey a de si extraordinaire pour qu’on prétende que tous les hommes voudraient lui ressembler ! Personnellement, je ne le trouve pas si beau que ça !