Ce terme de ''décadent '' reprend les paradoxes d'une époque où la sexualité est omniprésente et réprimée... L'art reprend l'impulsion sexuelle et vitale dans la vie imaginaire... Les décadents blasphèment le naturel en privilégiant les aspects les plus condamnables de la vie sexuelle.. L'exaltation de l'anormal accélère le processus d'auto-destruction, s'y mêle un sentiment de culpabilité : on profane l'amour, dans un étrange mélange de mysticisme et d'érotisme...
Il s'agit d'un imaginaire, en ce que pour beaucoup – comme pour Rachilde par exemple - si elle décrit des comportements sexuels monstrueux et aberrants , et questionne l'identité sexuelle, au grand scandale du public ; Rachilde est une jeune fille à l'existence parfaitement réglée, puis l'épouse ''honnête'' d' Alfred Valette, le directeur du Mercure de France...
La société que fréquente Anne-Laure verrait cela avec amusement, si sa propre jeunesse n'était pas contaminée ; et si quelques-uns ne dépassaient pas la bienséance …
Pour l'instant, restons-en à des personnalités qu'Anne-Laure a approché :
Ainsi des hommes comme, Marcel Schwob (1867-1905), Rémy de Gourmont (1858-1915), Robert de Montesquiou (1855-1921) se reconnaissent comme esthètes et sont déclarés ''Décadents''… Précisément, parlons d'eux...
M. MorenoAnne-Laure adorait écouter Marguerite Moreno (1871-1948), dire de la poésie... Ses lectures au Collège de France, patronnées par Paul Valéry, attiraient du monde... Elle s'agace fortement de sa liaison avec l'ogre Catulle Mendès ( qui – je rappelle - a été marié avec sa vieille amie Judith Gautier).. Marguerite est ensuite la compagne de l'écrivain Marcel Schwob jusqu'à la mort de celui-ci en 1905. Entourée d'amis poètes : Verlaine, Mallarmé, Jean Moréas. Marguerite Moreno donne des récitals de poésie qui valent d'être surnommée la "Muse du Symbolisme.
Marcel Schwob, enfant de bourgeois intellectuels, est un habitué du salon de madame Arman de Cavaillet, comme Proust ou Lucien Daudet. En 1891, il a guidé l'écrivain anglais Oscar Wilde dans les milieux littéraires... Il va éprouver une grande passion pour Marguerite Moreno, confidente de Stéphane Mallarmé et grande amie de Colette ; ils sont liés par une grande complicité intellectuelle, en témoigne une extraordinaire correspondance. Ils se marient en 1900 ; en 1905, il meurt à 37ans...
M. Moreno« Hommes, qui fûtes nombreux à éprouver pour Marguerite un violent amour, vous n'avez pu ignorer, vous n'avez jamais oublié l'odeur qu'exhalait une peau noble et douce, blanche avec un reflet d'ambre errant sous sa blancheur ! » : de Colette ; d'ailleurs, Marcel Schwob sera le premier à faire confiance à Colette - l'auteure…
L'imposante Berthe de Courrière (1852-1916), doit sa notoriété à ses ''relations'' avec plusieurs ministres, dont le ministre de la guerre le Général Boulanger... Elle devient la maîtresse du sculpteur Clésinger ( gendre de George Sand ), et le modèle d'un buste de Marianne et de la statue de la République lors de l'exposition Universelle de 1878... Elle va devenir la maîtresse et l'égérie de Rémy de Gourmont (1858-1915) jusqu'à sa mort... Les lettres passionnées que Gourmont lui adresse seront réunies en volume sous le titre Lettres à Sixtine... Berthe meurt en1916 et elle rejoindra Gourmont dans le caveau de Clésinger au Père-Lachaise où, elle l'avait fait déposer... Berthe de Courrière est enterrée avec ses deux amants, une sorte de ménage à trois parmi les pierres froides du cimetière du Père Lachaise. Son nom est malheureusement absent de la pierre.
Berthe de Courrière - la RépubliqueAnne-Laure - je l'ai déjà signalé - s'intéressait à l'occultisme ( nous en reparlerons...); et même si rien ne la rapproche de ''la vieille dame'' ( surnom qu'on donnait à Berthe au Mercure) ; il est amusant de rapporter que Berthe, férue d’occultisme, se livre à des expériences et de 'curieuses' cérémonies, au point où mêlée à une affaire de messe noire qui faillit mal tourner, cela lui valut un séjour d'un mois dans un hôpital psychiatrique, alors qu'elle avait été sans-doute la victime d'une agression sexuelle... C'était le 8 septembre 1890, elle se trouvait alors en Belgique, Berthe fut retrouvée presque nue et tremblante dans les buissons près de la maison de Louis van Haecke ( selon Huysmans) . Elle a raconté alors, qu'elle venait de s'enfuir de chez un prêtre local, et elle l'accusait d'être un sataniste. La police ne la crut pas et la fit incarcérer à l’Institut Saint-Julien . Plus tard quand on voulut enquêter sur cet épisode, on fut surpris de découvrir que les dossiers comprenant son témoignage avaient mystérieusement disparu.
Berthe de Courrière (buste)Rémy de Gourmont a présenté Berthe à Joris-Karl Huysmans en 1889, qui en fera le modèle du personnage de Madame Hyacinthe Chantelouve dans son roman Là-bas (1891).
Rémy de Gourmont, lui-même la présentait comme : «... une kabbaliste et occultiste, érudite dans l'histoire des religions et des philosophies orientales, fascinée par le voile d'Isis, initiée par de dangereuses expériences personnelles dans les mystères les plus redoutables de l'art noir. Une âme à laquelle le mystère a parlé - et n'a pas parlé en vain. »
Durtal est le personnage principal de ''Là-bas'': il est un véritable écrivain naturaliste dans sa démarche documentaire, à l’instar de Huysmans. Ses recherches sur le satanisme visent à mieux comprendre Barbe Bleue ( Gille de Rais sur qui il écrit un ouvrage...). Intrigué et obsédé par la belle Hyacinthe, Durtal s’intéresse à sa relation avec le chanoine Docre : une des figures les plus sinistres de ce roman, confesseur de Hyacinthe , un personnage débauché, célébrant des messes noires, etc. J. K. Huysmans affirma que son modèle avait été l'abbé van Haecke.
Me Chantelouve par Henry Chapnot 1912Hyacinthe Chantelouve – par une correspondance assidue - séduit Durtal. Elle devient sa maîtresse, et si, sur le satanisme, elle n'a pas de connaissance intellectuelle, elle lui transmet son expérience de praticienne... Elle refuse de le mettre en relation avec le chanoine Docre, mais elle veut bien le faire assister à une messe noire.
Durtal et Hyacinthe se rendent à la messe noire du chanoine Docre. Les scènes de débauche dégoûtent Durtal..Il pousse Hyacinthe à partir avant la fin. Elle l’emmène alors dans une chambre d’hôtel, où ils font l’amour sur des fragments d’hostie. C’en est trop pour Durtal, qui rompt avec elle. L’écœurement qu’il ressent devant ces scènes sataniques peut être considéré comme le point de départ de sa conversion religieuse: il se détourne de Satan pour se tourner vers Dieu.
Si dans certains milieux, l'occultisme permettait aux hommes de s'adresser directement aux forces mystérieuses.. Depuis la publication en 1862, de ''La Sorcière'' par Jules Michelet, les femmes se réapproprièrent la sorcellerie comme comme un acte de rébellion contre la société patriarcale.
Hyacinthe Chantelouve, femme fatale fictive et initiatrice satanique, pouvait paraître comme la ''nouvelle femme'' émancipée, ou du moins celle que la société traditionnelle craignait, mais qui était secrètement désirée.
Hyacinthe Chantelouve, serait le modèle de ces femmes qui considèrent que Lucifer, serait l'image du libérateur, celui qui émancipe les femmes des liens patriarcaux de l'église, qui réhabilite Eve contre l'idée du péché originel. Au lieu de cela, elles revendiquent l'idéal romantique de Satan comme le symbole de la rébellion contre les oppressions.
Une fille décadente , de Ramón Casas , 1899Une autre femme de la vie réelle, a inspiré le personnage de Hyacinthe, c'est Henriette Maillat (1849-1906), qui hante les milieux littéraires, se jette dans les bras d'écrivains: elle fut la maîtresse de Péladan entre 1884 et 1887, puis celle de Bloy et de Huysmans vers 1888-1889. Comme Berthe, Maillat était également une amatrice d'occultisme. Beaucoup des lettres d'amour qu'elle a écrites à Huysmans ont été incorporées à Là-Bas , ce qui a posé quelques problèmes à Huysmans par la suite. Une troisième influence sur le personnage de Hyacinthe fut Mme Charles Buet, épouse de Charles Buet...
On retrouve également Henriette Maillat sous les traits d'Ysolde Fouillard dans ''la Maîtresse d'esthètes'' de Willy ; et pas elle seulement...
A suivre...